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de celles qu’on veut y précipiter. La tonnelle-murée est un piège plus particulièrement consacré aux perdrix ; cependant on y prend aussi des alouettes. On les y pousse de la même manière que sous le filet aux fourchettes. L’instant de cette chasse est le coucher du soleil. Je renvoie à l’article Perdrix la description de la tonnelle.

En terminant ici la nomenclature des filets propres à prendre l’alouette, je dirai un mot de leur couleur. En général tous doivent être teints : les teintes ordinairement employées sont le vert, la couleur feuille morte, ou de terre, ou jaune sale. La verte a l’avantage de servir en toute saison, et de se confondre avec la couleur habituelle dont se pare la nature. Lorsqu’on n’a point de teinture à sa portée pour teindre son fil ou ses filets, on prend quelques poignées de blé vert, on les hache et on les pile, et on frotte son filet dans cette espèce de bouillie, en l’y laissant tremper vingt-quatre heures. La couleur brune ou de terre convient assez aux filets d’hiver, par exemple, aux nappes. On l’obtient en les trempant dans une eau de tan. Cette préparation a l’avantage de conserver les fils ; au défaut de tan, on se sert de racines de noyer dont on prend les écorces. Sur deux boisseaux de ces écorces on jette deux seaux d’eau, on fait bouillir le tout ensemble, et l’on trempe vingt-quatre heures ses filets. L’enveloppe verte de la noix, dite aussi le brou, s’emploie de même et produit le même effet. Enfin la plante connue dans les campagnes sous le nom d’éclaire, (la grande chélidoine) fournit un suc jaunâtre dont on tire encore une teinture pour les filets, en les frottant de cette plante arrachée à pleines poignées.

J’ai décrit une dernière espèce de chasse qui se fait aux alouettes par le moyen des gluaux, et que j’ai pratiquée moi-même avec succès. Buffon l’a citée dans son Histoire Naturelle[1]. Je la ferai connoître ici, parce qu’elle est très-productive et très-propre à dédommager des frais qu’elle exige. On prépare pour cette chasse environ deux mille gluaux. Ce sont des baguettes de saule droites, longues de trois pieds dix pouces, aiguisées et un peu bridées par un bout, pour être plantées en terre. L’extrémité supérieure est enduite de glu à la hauteur d’un pied. On plante ces gluaux dans un champ convenable, par exemple, une terre en jachère, et fréquentée par les alouettes. Ils doivent être espacés de manière à permettre le passage entre les rangs ; chaque gluau est à un pied de distance de son voisin. Les gluaux du second rang doivent correspondre à l’entre-deux du premier et ainsi de suite ; ce qui forme un quinconce. Le talent du chasseur consiste à planter ces baguettes avec tant de légèreté, et dans un si exact équilibre, que le moindre mouvement d’une alouette puisse les culbuter en les touchant. Ces premières dispositions exécutées, une troupe de chasseurs se rend aux gluaux vers les quatre ou cinq heures du soir ; on s’y partage en deux bandes, dont chacune se place à l’extrémité du carré long formé par les gluaux, et qui présente un de ses grands côtés au terrain où l’on suppose les alouettes. À ces deux mêmes angles sont élevés deux drapeaux qui servent à guider la marche des chasseurs. Aux signaux d’un commandant, chacun des détachemens s’étend en silence et décrit une ligne circulaire qui embrasse une grande étendue de terrain. Les deux lignes se rejoignent à environ une demi-lieue des drapeaux ou du front de la chasse ; par cette marche on sent que l’on a dû rabattre vers le centre une

  1. Voyez le vol. I, page 280, de mon édition des Œuvres de Buffon. Paris, Dufart.