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ques autres provinces ; mais leurs intendans, n’ayant ni la même constance ni les mêmes talens, n’y ont pas obtenu les mêmes succès.

Quoi qu’il en soit, l’agriculture faisoit de grands progrès dans chacune de ses parties, les disettes devenoient moins fréquentes, par l’amélioration de la grande et d’une partie de la moyenne culture ; et toutes fournissoient en abondance au commerce, aux manufactures et aux arts, les denrées et les matières premières qu’elles récoltoient.

Le sol de la France est particulièrement favorable à la culture des céréales ; dans les récoltes moyennes, il produit en subsistances de quoi satisfaire aux besoins de sa nombreuse population ; dans les récoltes abondantes, il y a excédant ; mais dans les années défavorables, il y a déficit de subsistances.

Cette variation naturelle dans la quantité des récoltes annuelles occasionne des différences quelquefois très-grandes et très-subites dans le prix des grains ; et ces différences ont une influence directe, et sur l’amélioration de l’agriculture, et sur la prospérité générale et particulière.

Dans la première circonstance, c’est à-dire dans les années de récoltes moyennes, les grains se trouvent naturellement à un prix moyen, auquel le fermier s’est attendu en passant son bail, et qui lui promet des bénéfices suffisans pour se livrer avec sécurité à toute son industrie ; les autres branches de la prospérité publique sont également florissantes, parce qu’elles n’ont point d’inquiétude sur l’assurance des subsistances.

Enfin, l’État est paisible, et la marche de son gouvernement n’est arrêtée dans aucun de ses rouages.

Dans la deuxième circonstance, celle d’une trop grande abondance, le prix des grains tombe au dessous du prix moyen, et alors le cultivateur seul semble souffrir de cette baisse, parce que ses frais de culture restant les mêmes, ses profits diminuent nécessairement. Peut-être, la première année, l’abondance de ses denrées pourra compenser chez lui la diminution de leur prix ; mais, si quelques années abondantes se succèdent les unes aux autres, ses pertes augmenteront d’année en année, et il finira par se ruiner et par abandonner sa culture.

C’est ce qui est arrivé après les récoltes abondantes et successives de 1759 à 1764. En 1763, un seul canton de la Brie, d’environ six lieues de largeur sur dix de longueur, présentait près de cinquante fermes abandonnées, et il y a quatre ans qu’on a été au moment de voir répéter le même abandon par les mêmes causes. Ainsi, l’effet de ces années d’abondance est d’abord de ruiner le cultivateur par l’avilissement du prix des denrées, et ensuite, en le forçant d’abandonner sa culture, de préparer la famine pour les années qui leur succèdent.

Il est vrai que les années de grande abondance présentent au Gouvernement et aux autres professions une économie réelle dans l’achat de leurs subsistances ; mais alors la contribution foncière est lente à recouvrer ; les propriétaires sont mal payés de leurs fermiers ; ils sont obligés de diminuer leur dépense accoutumée ; ils font moins travailler ; et cette diminution de travaux et de dépenses doit aussi influer sur la prospérité des autres professions.

Enfin, si nous considérons la France, dans les années de disette, nous voyons son agriculture réparer une partie des pertes qu’elle avoit éprouvées dans une succession d’abondantes récoltes, remonter ses fermes abandonnées, et reprendre ses travaux avec une grande