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bizarres et extraordinaires, et ils recherchoient beaucoup moins les qualités du fruit, ou la quantité, que des couleurs ou des formes étranges.

On ne peut se faire une idée du vil ramas d’idées superstitieuses et absurdes qui sont consignées dans les livres de ces temps, sur-tout pour les résultats des greffes.

Olivier de Serres, le patriarche de l’agriculture française, qui cultivoit avec succès ses terres, et beaucoup d’arbres à fruit dans une contrée méridionale, ne se laissa point égarer par les écrivains ignorans, suivant la cour, et c’est peut-être aux sottises qu’ils firent imprimer, que nous devons le Théâtre d’Agriculture de ce célèbre cultivateur, ouvrage qu’on ne peut trop méditer, et qui sera toujours un monument cher à la nation française ; mais dans ce temps, (comme de nos jours) l’ouvrage le plus utile, le plus sensé, ne fut pas celui qui eut la vogue. Les prières, les influences des astres, les secrets, les saints, la lune, formèrent la science des jardiniers de ces temps ; et, ce qui est inconcevable, c’est que l’auteur de la Maison Rustique, ensuite, recueillit et transmit une grande partie de ces secrets

Il est cependant un autre agronome, presqu’ignoré, et auquel peut-être on doit plus d’obligation, pour l’extension de la culture des arbres à fruits, qu’à Olivier de Serres même, c’est le cardinal du Bellai, évêque du Mans. Il se retira dans son diocèse, et se livra, avec une sorte de passion, à la culture des arbres : il fit venir de l’étranger, et sur-tout de l’Italie, des arbres et plantes qu’il cultivoit dans son jardin. Il y avoit établi des pépinières ; il distribuoit des plantes, des graines ou des greffes à ceux qui en désiroient. Ce n’étoit pas de sa part une fantaisie, ou le besoin de s’occuper, pour oublier les grandeurs ou les faveurs de la cour ; il soignoit lui-même tous les arbres nouveaux venus ; il travailloit à varier et multiplier les manières de greffer ; c’est lui qui, le premier, pour conserver des pêchers que les fourmis attaquoient toujours, fit bouillir et tamiser les terres, afin de faire périr tous les œufs de ces insectes, qui pouvoient être dans la terre qu’il mettoit en caisse.

Il étoit en relation intime avec le médecin Belon, homme vraiment passionné pour les progrès de l’agriculture et de la botanique. Ce fut dans ce dessein qu’il fit un voyage eu Syrie, en Égypte, et en Perse, d’où il rapporta des plantes et arbres précieux. Il fut, dans le seizième siècle, ce qu’a été de nos jours le vertueux et célèbre Poivre. Les jardins du cardinal du Bellai étoient la pépinière et le dépôt précieux de ses envois. De tels hommes, dans un pays où on apprécie les bienfaits ne devroient-ils pas avoir des statues !

C’est aux bienfaits de du Bellai et de Belon que les provinces du Maine, de l’Anjou, et de la Touraine ont dû le bonheur d’être les premières de France qui ont eu des arbres à fruits de toute espèce. Déjà la Touraine qui, depuis Gré-