Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1800, tome 10.djvu/59

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

divers et à un grand nombre d’autres circonstances locales.

Les plantes que l’on préfère ordinairement sont prises dans la classe des graminées ; ce qu’il y a d’assez extraordinaire, c’est qu’on préfère pour le verd celles qui croissent dans les lieux bas, humides, marécageux. J’ai recherché la cause de cette singulière préférence ; je l’ai trouvée dans l’observation qu’on a faite que ce fourage grossier, aqueux purgeoit les chevaux et plus promptement et plus abondamment que celles des prairies hautes. Reste à savoir maintenant si cette purgation si prompte et si abondante sur des animaux épuisés, tels que sont presque toujours ceux que l’on met au verd, est aussi avantageuse qu’on le prétend : j’ai bien de la peine à le croire. Je sais que pour prononcer avec exactitude sur ce qu’on donne comme le fruit de l’expérience, il faudroit avoir fait un grand nombre d’essais comparatifs qui n’ont été tentés ni par moi, ni par personne que je sache ; mais quand quelques faits semblent en contradiction avec des principes généralement adoptés, il faut être sur ses gardes et ne jamais perdre de vue que dans la foule des erreurs qui ont inondé et inondent encore le monde, il n’y en a pas une qui n’invoque en sa faveur l’autorité des faits : on observera que celui sur lequel je me permets d’élever des doutes dans cette circonstance, ce n’est pas la propriété purgative des plantes marécageuses, dont j’ai été cent fois témoin, mais bien les résultats qu’on attribue à cette purgation si prompte et si copieuse.

Quelle que soit au reste la nature de l’herbe que l’on donne en verd, on doit être bien assuré quelle purgera plus ou moins, ce qui pourroit bien ne pas tenir davantage à la qualité de l’herbe en elle-même, qu’au changement de régime. Il y a peut-être autant de chevaux purgés par le régime sec qui succède immédiatement au régime verd, que par le régime verd qui succède au régime sec. Ces sortes de transpositions de causes ne sont pas moins communes dans l’hygiène des hommes, que dans celle des animaux. C’est ainsi, par exemple, qu’on attribue aux eaux de la Seine une vertu puissamment purgative, et qu’on ne voit pas que celle du Rhône à Lyon, de la Loire à Orléans produisent sur les étrangers à ces villes, les mêmes effets que l’eau de la Seine sur les étrangers à Paris, que dans cette commune ceux qui ne boivent point d’eau du tout ou ceux qui ne boivent que de l’eau d’Arcueil, paient le même tribut que les autres ; ce qui prouve jusqu’à l’évidence ou que l’eau ne contribue point à cet effet, ou qu’elle n’y contribue que très-secondairement et en proportion seulement du rang qu’elle occupe dans tout ce qui compose le régime nouveau auquel sont soumis les étrangers, indépendamment encore de l’influence du climat qui souvent pourroit suffire seul pour cet effet.

Ces considérations me déterminent à conseiller, en dépit de l’usage, de donner la préférence aux fourages verds que les ani-