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nés par la forêt de Montmorency et de Saint-Prix qui l’alimentent encore. Qu’on vende ces bois, ils seront bientôt abattus, ey l’on n’aura ni bois, ni sources, ni ruisseaux, ni étang, ni poisson, ni moulin ; et en place de tout cela en conquerra quarante hectares d’un sol bien aride[1] !

Cependant on avoit fait une loi sur le dessèchement des étangs ; on pouvoit s’en dispenser et attendre ; ils se dessécheront d’eux-mêmes, si on n’arrête enfin les causes de ces tarrissemens ; car cette diminution des eaux est générale là où les bois ont été abattus[2], et la fécondité du sol diminue dans les mêmes proportions.

Les vieillards, laudatores temporis acti, en comparant l’ancienne fertilité de la France avec l’état présent de ses récoltes, prétendent que les saisons sont interverties. Oui, elles le sont, et c’est l’ouvrage de l’homme. On ne connoissoit pas le vent de mistral en Languedoc avant l’existence de son canal, qui a occasionné un grand déboisement ; on ne le connoissoit pas à Marseille, lorsque les montagnes qui lui servent d’enceinte étoient couvertes de bois.

La nature avoit répandu par intervalles de vastes forêts dans les plaines ; elle en avoit sur-tout couronné le sommet des montagnes ; l’homme ne cesse d’y porter la hache sacrilège et ne replante pas.

On prétend que la chaleur de la terre diminue, ce seroit encore l’ouvrage de l’homme. Elle doit en effet diminuer là où elle est exposée à un grand déboisement. Une forêt dans laquelle tout est vie et mouvement, produit nécessairement beaucoup de calorique ; un arbre est un corps organique. L’air et les fluides ne circulent pas sans chaleur dans leurs canaux resserrés ; les feuilles, les reptiles, les insectes, enfin les animaux qui habitent les forêts et qui y meurent, ne forment-ils pas sur son sol une véritable couche sourde qui, toujours en fermentation, engendre le calorique et l’y entretient ?

    moment où j’écris (28 messidor an 6), 60 kilogrammes seulement, qui sont le dernier qu’il moudra d’ici à l’hiver ; ce moulin entre demain en chômage.

  1. Détruisez-les ces forêts, éloignez-les de nos plaines, vous achevez d’arracher à la nature son plus bel ornement ; vous desséchez le climat, vous appauvrissez les ressources de l’agriculture ; vous énervez le commerce, affoiblissez l’industrie ; vous enlevez à l’homme le moyen de satisfaire à un de ses plus pressans besoins ; et d’un pays fertile, heureux et peuplé, vous en faites une terre aride, dont les sucs épuisés ne nourriront plus que des hommes rares, faibles, et des nations vieilles et malheureuses sur une terre sans fécondité. Bexon.
  2. Dans une commune de la vallée, un bois de quinze hectares a été converti en terres labourables, et cette commune a perdu la seule source qui l’abreuvait, source que ce bouquet de bois alimentait. Cet abattis est devenu un attentat à la propriété publique ; elle a le droit d’en exiger la replantation : replantes, ou soit maudit, peut dire à ce propriétaire chacun de ses concitoyens tu me refuses l’eau !