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variés, les excès en sont si singuliers et monstrueux, et ils dépendent d’ailleurs de tant de causes différentes, qu’il est impossible de donner des avis raisonnés relatifs aux individus de chaque espèce.

Quel homme observateur et admirateur des belles formes et des proportions que la nature fait développer dans les quadrupèdes ? Quel homme ami ou enthousiaste de la beauté du cheval, n’est pas étonné en voyant dans nos cités la stature colossale et monstrueuse de certains chevaux, dont le régime et la nourriture de choses très-substantielles, force les organes digestifs à prendre une si vaste extension, tandis qu’à côté de ces chevaux énormes, il en passe d’autres qui semblent avoir été condamnés à un jeûne perpétuel, dont les flancs applatis, le ventre étroit et serré, le cou maigre et raccourci feroient croire, au premier coup d’œil, que les uns et les autres sont étrangers à la race indigène des chevaux de la France ?

Quel homme pasteur des belles vaches de Suisse et des Alpes, où la nature leur conserve encore ses belles formes, pourroit en reconnoître en voyant celles qu’on nourrit à Paris et dans les environs ? où leur maigreur, leur ventre excessivement gros et difforme, leur peau luisante et collée sur les os, les cornes du pied allongées et recourbées en grands ergots, les pis énormes et grumeleux sont les effets du régime extrême par lequel, à force de soins, d’art et de cupidité, on est venu à bout de transformer en lait une partie du sang même, à faire en quelque sorte bien porter ces animaux, en les tenant dans un état continuel de maladie, et à ouvrir des sources nouvelles de lait, inconnues à la nature même. On sent combien il seroit donc difficile de donner des avis utiles, pour le régime qui conviendroit à chaque animal domestique ; on voit que pour ces vaches très-délicates, et d’ailleurs accoutumées à des alimens tout préparés, il seroit très difficile, même impossible, de mettre au verd, d’après les indications que la nature prescrit en général.

Il y a aussi des chevaux, tellement conformés par l’habitude de ne vivre qu’au râtelier, qu’ils ne peuvent plus paître l’herbe des champs, qu’avec une extrême difficulté, et en tenant une jambe continuellement pliée. J’ai déjà eu l’occasion de remarquer que des poulains, issus d’étalons et jumens sédentaires, tenoient de cette conformation, que parvenus à l’âge de deux ans, quand ils avoient de la taille, ils ne paissoient que difficilement.

Ce fait, que j’ai remarqué récemment, et qui semble résulter de l’état de domesticité qu’on fait subir à certains chevaux, de génération en génération, peut n’être pas indifférent pour ceux qui dirigent les haras de la république, et pour tous les cultivateurs qui s’occupent d’élever de beaux chevaux. Déjà même la mise au verd est un motif déterminant pour faire choix des tonnes et du régime d’éducation qu’a eu le cheval qu’on veut acheter.