Sans doute la grappe n’ajoute ni au principe sucré ni à l’arome ; et, sous ce double point de vue, elle ne sauroit contribuer par ses principes, ni à la spiritualité ni au parfum du vin, mais sa légère âpreté peut avantageusement corriger la foiblesse de quelques vins : en outre, en facilitant la fermentation, elle concourt à opérer une décomposition plus complette du moût et à produire tout l’alkool dont il est susceptible.
Sans nous écarter du sujet qui nous occupe, nous pouvons encore considérer les vins sous deux points de vue, d’après leurs usages : ils sont tous employés ou à la boisson ou à la distillation. On exige, dans les premiers, des qualités qui seroient inutiles aux seconds. Le goût, qui fait presque tout le mérite des uns, n’ajoute nullement aux qualités des autres. Ainsi, lorsqu’on destine un vin à être brûlé, on ne doit s’occuper que des moyens d’y développer beaucoup d’alkool ; peu importe que la liqueur soit âpre ou non ; dans ce cas ce seroit peine perdue que d’égrapper le raisin. Mais, si le vin est préparé pour la boisson, il faut alors tâcher de lui concilier une saveur agréable avec un parfum exquis ; et, à cet effet, on évitera, on écartera avec soin tout ce qui pourroit altérer ces précieuses qualités. D’après cela, il est nécessaire de soustraire la grappe à la fermentation, de trier le raisin, de le nettoyer avec précaution.
C’est probablement d’après la connoissance de ces effets que l’expérience remet chaque jour sous les yeux de l’agriculteur, plutôt que par une suite du caprice ou de l’habitude, qu’on égrappe les raisins dans certains pays et qu’on n’égrappe pas dans d’autres ; vouloir tout réduire à une seule méthode, c’est méconnoître à-la-fois l’effet de la grappe dans la fermentation et la différence qui existe dans les diverses qualités de raisins. Dans le Midi où le vin est naturellement généreux, la grappe ne pourroit qu’ajouter une âpreté désagréable à une boisson déjà trop forte par sa nature ; aussi tous les raisins destinés à former des vins pour la boisson sont-ils égrappés, tandis que ceux qui sont réservés pour la distillation fermentent avec leur grappe. Mais ce qui pourra paroître bien étonnant, c’est que dans le même canton, sur divers points de la France, nous voyons des agronomes qui égrappent et se louent de leur méthode, lorsqu’à côté, des agriculteurs également habiles repoussent cet usage et cherchent comme les autres à appuyer leurs procédés par le résultat de leurs expériences. L’un fait un vin plus délicat, l’autre l’obtient plus fort, tous deux trouvent des partisans de leur boisson : c’est ici une affaire de goût qui ne contredit point les principes que nous avons posés.
En général, pour égrapper le raisin, on se sert d’une fourche à trois becs que l’ouvrier tourne et agite circulairement dans la cuve où sont déposés les raisins : par ce mouvement rapide, il détache les grains de la grappe et ramène celle-ci à la surface, d’où m’enlève avec la main.