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employé pour cuire et rapprocher le moût : ce qui leur avoit fait distinguer trois sortes de vins cuits, passion, defrutum, et sapa. Le premier se faisoit avec des raisins desséchés au soleil ; le second s’obtenoit en réduisant le moût par moitié, à l’aide du feu ; et le troisième provenoit d’un moût tellement rapproché, qu’il n’en restoit plus que le tiers ou le quart. On peut consulter, dans Pline et Dioscoride, des détails très-intéressans sur toutes ces opérations. Ces méthodes sont encore usitées de nos jours ; et nous verrons, en parlant de la fermentation, qu’on peut la diriger et la gouverner d’une manière avantageuse en épaississant une portion du moût, qu’on mélange ensuite avec le reste de la masse : nous verrons encore que ce moyen est infaillible pour donner à tous les vins un degré de force que la plupart ne sauroient acquérir sans cela.

Une grande question a long-tems divisé, les agriculteurs : savoir s’il est avantageux d’égrapper ou de ne pas égrapper les raisins. L’une et l’autre des deux méthodes ont des partisans ; et chacune des deux peut citer des écrivains de mérite en sa faveur. Je pense qu’ici, comme dans beaucoup d’autres cas, on a été peut-être trop exclusif ; et, en ramenant la question à son véritable point de vue, il nous sera facile de terminer le différend.

Il est de fait que la grappe est âpre et austère ; et l’on ne peut pas nier que les vins qui proviennent de raisins non égrappés, ne participent de cette qualité ; mais il est des vins foibles et presqu’insipides, tels que la plupart de ceux qu’on récolte dans les pays humides, où la saveur légèrement âpre de la grappe relève la saveur naturelle de cette boisson : c’est ainsi que dans l’Orléanois, après avoir commencé à égrapper le raisin, on a été forcé d’abandonner cette méthode, parce qu’on a observé que les raisins qu’on faisoit égrapper fournissoient des vins qui tournoient plus aisément au gras. Il résulte encore des expériences de D. Gentil, que la fermentation marche avec plus de force et de régularité dans du moût mêlé avec la grappe, que dans celui qui en a été dépouillé ; de manière que, sous ce rapport, la grappe peut être considérée comme un ferment avantageux, dans tous les cas où l’on pourroit craindre que la fermentation ne fût lente et retardée.

Dans les environs de Bordeaux, on égrappe avec soin tous les raisins rouges, lorsqu’on se propose d’avoir du bon vin ; mais on modifie encore cette opération d’après le degré de maturité du raisin : on égrappe beaucoup lorsque la vendange est peu mûre, ou lorsqu’elle a été gelée avant la cueillette ; mais lorsque le raisin est très-mûr, on égrappe avec moins de soin. Labadie. observe, dans les renseignemens qu’il m’a fournis, qu’il faut même laisser de la grappe pour faciliter la fermentation.

On n’égrappe point les raisins blancs ; et l’expérience a prouvé que les raisins égrappés fournissoient des vins moins spiritueux, et plus faciles à graisser.