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forment des galeries ; l’humidité les pénètre, s’unit à la sciure du bois, la fait pourrir et pourrit en même-tems l’échalas.

Telle est la bonne méthode pour provigner. En la suivant avec exactitude, on regarnit promptement et sûrement les places vuides ; on substitue aux mauvais plants des plants meilleurs ; on s’assure de la qualité et de la durée de son vin ; on fume, on amende insensiblement sa vigne, et sans altérer la qualité de la récolte. Mais si le propriétaire ne surveille pas lui-même ce travail, il sera mal exécuté. En général, le vigneron sur la bonne-foi duquel on se repose aveuglément, ne provigne que dans les endroits où les fosses sont faciles à creuser, parce que l’ouvrage est plutôt expédié et le salaire plus aisément gagné. S’il provigne dans le rocher, la fosse ne sera pas assez profonde ; il fait souvent des provins inutiles pour profiter du cep qu’il remplace ; n’étant pas occupé en hiver, il provignera pendant que la terre est couverte de neige ou quand sa surface est gelée ; si le paiement des provins fait partie des frais généraux de la main-d’œuvre, il n’en fera presque pas ou du moins il n’entreprendra d’en faire que dans le terrein le plus facile à creuser. Ce sera bien autre chose si vous exigez de lui quelques changemens dans sa manière ordinaire de procéder, si vous voulez l’assujettir à une innovation, quelque bien entendue qu’elle soit. Non-seulement il ne donnera pas à son travail les soins de détail qui en assureroient le succès ; mais pour vous en dégoûter vous-même, il emploiera tous les moyens qui lui sembleront propres à l’empêcher. Rozier nous a transmis à ce sujet une anecdote qu’il importe aux propriétaires de connoître.

Un particulier, dans le Lyonnois et dans un canton où le vin est précieux, cultivoit une vigne de hauteur moyenne. Cette vigne étoit déjà vieille ; il auroit fallu bientôt l’arracher. Rozier lui proposa de la renouveller par le provin. Le maître fit tailler sa vigne en conséquence et abattre quelques divisions sur chaque cep afin d’obtenir des autres des sarmens forts et vigoureux. À la fin de l’automne suivant, Rozier lui envoya deux vignerons experts dans ce genre de travail. Ceux du particulier ne tardèrent pas à chercher chicane aux nouveaux venus, le maître parla, les agresseurs se turent. Les nouveaux venus travaillèrent, et les provins furent commencés. On se doute bien que les épigrammes ne furent pas oubliées ; le maître tint bon, et l’ouvrage fut achevé. Cependant un des anciens vignerons du maître vint lui dire avec un air inquiet que la plupart des ceps avoient perdu pendant la nuit la direction qui leur avoit été donnée, et même que plusieurs s’étoient relevés. Les vignerons étrangers affirment que cela ne peut être, à moins qu’on ait employé l’artifice. Le maître pour s’assurer du fait et voyant que les ceps couchés ne se relevoient point pendant le jour, fit applanir le terrein voisin de plusieurs fosses, par un domes-