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maïs on ne peut la juger exactement qu’après la troisième on la quatrième feuille, quand il n’est plus tems de la réparer, ou du moins quand le remplacement est devenu si coûteux, si pénible, qu’il y auroit, pour ainsi dire, de la folie à l’entreprendre. Tirez vos plants de loin et ce sera bien autre chose encore ; l’inconvénient attaché à la déloyauté des fournisseurs n’en sera que plus certain, et vous aurez à supporter, en outre, la peine d’une erreur trop commune et trop chèrement payée ; car, c’en est une, il ne faut pas le laisser ignorer plus long-tems à ces cultivateurs dont le zèle surpasse les lumières, de ne vouloir adopter pour former des vignes nouvelles ou pour en renouveller d’anciennes, que des plants tirés des vignobles les plus renommés de la France, à quelqu’éloignement qu’on en soit et quelque différence qu’il y ait entre le sol et le climat de ceux-ci, comparé à la température et au grain de terre dans lequel on se propose d’exécuter une plantation. On voit des propriétaires dans nos départemens du centre et de l’Ouest se pourvoir à grands frais du muscadet de Champagne, du taurillon de Bourgogne, du verdot de Guienne, etc. voilà ce que nous appellons une erreur trop chèrement payée. En effet, et nous ne nous lassons point de le répéter, aucune plante n’est aussi sujette a varier dans ses formes et dans la qualité de ses produits que la vigne. Telle espèce réussit dans une province, tandis qu’elle est défectueuse dans une autre. Elle est si mobile dans ses caractères, que quelque différence dans la chaleur de l’atmosphère, dans la nature du terrein, dans l’exposition, suffit pour opérer sur elle des modifications qui la rendent, pour ainsi dire, méconnaissable dans ses formes et dans la qualité de ses produits, quand on les compare après quelques années de culture dans un territoire où elle a été récemment admise avec ce qu’ils sont dans celui où elle s’est naturalisée par la succession de plusieurs siècles. Ce seroit mal-à-propos qu’on voudroit lui appliquer, non botaniquement, mais économiquement parlant, ce principe des physiciens, que les plantes gagnent à être transportées du Nord au Midi, et qu’elles perdent à passer du Midi au Nord. Les vignes cultivées aujourd’hui dans le Nord-Est et dans le Nord de la France, n’y sont-elles pas parvenues par le Midi ? et la plupart de nos vins les plus délicats, les plus recherchés ne sont-ils pas des produits de ces contrées ? Supposons qu’un cultivateur de la Touraine, par exemple, se procure des marcottes de Bordeaux, de la Bourgogne ou de la Champagne, qu’il les plante séparément et qu’il donne à chacune de ces nouvelles colonies les façons et les soins de culture les plus analogues à ceux qu’elles auroient reçus dans leur pays natal ; et voyons quels en seront les résultats. La vigne bordelaise mûrira douze ou quinze jours plus tard la première année que les anciennes vignes de la contrée, parce qu’elles se seront trouvées à une température moins