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sont susceptibles de parvenir. Cette vieillesse et ce volume sont quelquefois très-extraordinaires. Un plant de vigne abandonné à la seule nature, placé dans un sol et un climat qui lui conviennent, et qui trouve près de lui des appuis capables de résister à ses élans et aux efforts qu’il fait pour croître, acquiert un volume énorme et parvient à la plus étonnante longévité. Il en est tout autrement de celui que l’on taille ou dont on retranche les sarmens. La sève employée à leur renouvellement et à leur croissance, se porte rapidement et sans mesure vers les extrémités ; ses élémens s’épuisent ; les canaux qui la filtroient se dessèchent, et la plante n’a rien d’extraordinaire ni dans son port ni dans sa durée. Il en est ainsi de tous les arbres : ceux qu’on est dans l’usage d’élaguer n’acquièrent jamais le volume de ceux dont les branchages vieillissent avec eux.

Les anciens naturalistes et les voyageurs modernes sont d’accord entr’eux sur la longue vie et sur les étonnantes proportions de la vigne dans son état agreste. Strabon qui vivoit au tems d’Auguste, rapporte qu’on voyoit dans la Margiane des ceps d’une si énorme grosseur, que deux hommes pouvoient à peine en embrasser la tige : ils avoient de trois à quatre mètres de circonférence. C’est avec raison, dit Pline[1] que les anciens avoient rangé la vigne parmi les arbres, vu la grandeur à laquelle elle est susceptible de parvenir. « Nous voyons à Populomium, ajoute-t-il, une statue de Jupiter, faite d’un seul morceau de ce bois, et qui, après plusieurs siècles, est encore exempte de tout indice de destruction. Les temples de Junon à Patera, à Massilia (Marseille) à Metapontum étoient soutenus par des colonnes de vigne ; et actuellement encore la charpente du temple de Diane, à Éphèse, est construite de vignes de Chypre : il n’est point de bois plus indestructible que celui-là ». Ce même naturaliste parle ailleurs d’une vigne qui existoit depuis six cents ans.

Les modernes savent que les grandes portes de la cathédrale de Ravenne sont construites de bois de vigne, dont les planches ont plus de quatre mètres de hauteur sur trois à quatre décimètres de largeur. Il n’y a pas long-tems qu’on a vu dans le château de Versailles et dans celui d’Ecouen de très-grandes tables construites d’une seule planche de ce bois. Les voyageurs qui ont cotoyé l’Afrique ou pénétré dans ces contrées ont vu certaines côtes de Barbarie parsemées de vignes dont les tiges n’ont pas moins de trois à quatre mètres de circonférence. Si leur âge pouvoit être connu, on seroit sans doute étonné de leur grande vieillesse. Miller parlant des vignes d’Italie, dit[2] que dans certains territoires de ce pays il y a des vignes cultivées qui du-

  1. Liv. 14, chap. i.
  2. Diction. des Jardiniers.