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Poiri. Ces vins, à leur avis, étaient au-dessus de tous les autres vins de France. Ils en donnoient pour preuve l’usage qu’en faisoit alors Louis XV, le choix qu’en avoit fait Fagon pour Louis XIV, quand il crut devoir lui interdire ceux de Reims ; enfin, ajoutoient-ils, n’est ce pas de nos vins d’Auxerre, d’Iranci et de Coulanges qu’Henri IV faisoit sa boisson ordinaire ? Circonstance qui donna lieu à des couplets, dont ils ont long-temps répété le refrein.

Auxerre est la boisson des rois ;
Heureux qui les boira tous trois !

Ce mot heureux rappelle qu’en effet on attribuoit depuis longtemps aux habitans d’Auxerre de trouver quelque bonheur à boire ; car ils sont désignés dans un manuscrit du treizième siècle, intitulé Proverbes, sous la qualité de buveurs d’Auxerre.

Ceux de Joigny disoient, du ton le plus sérieux, que le bon vin fait faire des enfans mâles, et que c’est à cette cause qu’on doit attribuer le mode de population de Joigny, où l’on compte moitié plus de garçons que de filles. Il faut convenir que toutes ces prétentions à la prééminence en faveur de tel ou de tel vin, de la part des propriétaires des crûs les plus renommés de la France, est bien ridicule. Chacun des vins qu’ils produisent n’a-t-il pas un caractère particulier, des qualités qui lui sont propres ? Et les buveurs qui s’établissent juges, quelque bons gourmets et quelque désintéressés qu’on les suppose, n’ont-ils pas aussi chacun une constitution et des habitudes particulières qui ont la plus grande influence sur les jugemens qu’ils portent ? Voyez Dufouilloux, dans sa vénerie : il donne les plus justes éloges au vin de Grave ; et le mot qu’en a dit madame de Sévigné, annonce le peu de cas qu’elle en faisoit. En parlant de monsieur de Lavardin, c’est un gros mérite, dit-elle, qui ressemble au vin de Grave.

CHAPITRE II.

Des frais de culture et du produit des vignes de France.

La culture des vignes, comme celle des grains, peut être divisée en grande, en moyenne, en petite culture. La première a lieu dans les départemens où le produit des vignes est plutôt destiné à être converti en eaux-de-vie, que consommé en nature de vin, comme dans les ci-devant provinces d’Angoumois, de Saintonge et d’Aunis ; dans une partie de celles du Poitou, de l’Anjou, de la Gascogne et du Languedoc. Il n’est pas rare de trouver dans ces contrées des propriétés particulières, en vignes de cent, cent cinquante, deux cents arpens, et plus d’étendue.

La culture moyenne est plus généralement suivie que la grande. Son produit est presque généralement consommé en nature de vin ; et les propriétés particulières dans lesquelles elle est adoptée, ne sont guère composées que de