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core. Viendront ensuite les détails que le lecteur a droit d’attendre sur les fameux vignobles Bordelais, et sur ceux de quelques autres départemens auxquels les gourmets donnent une attention particulière. Mais avant tout, pour nous conformer à l’espèce d’ordre chronologique que nous avons observé jusqu’ici, le lecteur doit être prévenu que nous touchons à l’époque où les vignes de France furent atteintes d’un fléau dirigé par l’autorité, et non moins impolitique que celui dont elles avoient été frappées sous l’empire de Domitien. S’il fut moins désastreux dans ses effets, c’est que la proscription des vignes ne fut pas universelle comme la première fois. Le même prétexte, une récolte chétive des blés en 1566, détermina l’ordonnance de Charles IX, par laquelle ce prince vouloit qu’il ne pût y avoir désormais que le tiers du terrain de chaque canton occupé par les vignes, et que les deux autres tiers fussent consacrés soit aux prairies soit aux céréales. Encore une fois, est-ce qu’un genre de culture quel qu’il soit ne dépend pas autant, et plus encore, du climat et de la nature du sol que du travail des hommes ? C’est une remarque digue d’attention, dit fort agréablement l’écrivain, que j’ai tant de plaisir à citer et que je copie souvent, parce que je ne pourrois dire aussi bien : « C’est une remarque dont les buveurs sur-tout doivent triompher, que les deux princes qui proscrivirent les vignes en France aient été, l’un l’auteur de la Saint-Barthélemi ; l’autre, un des plus abominables tyrans qui aient affligé le monde ». Ce règlement de Charles IX fut heureusement modifié par Henri III[1]. Celui-ci recommanda seulement, en 1577, à ses représentans dans

  1. Entre la date de ce règlement et la modification qu’y mit Henri III, il parut une loi très-favorable au commerce des vins. Les bateliers et charretiers, qui s’occupoient du transport des vins, se permettoient, pendant leur route, de boire celui qu’ils conduisoient. Ils remplissoient ensuite les tonneaux avec de l’eau et du sable. Ce désordre étoit si général que, loin de s’en cacher, ils en étoient venus au point de le regarder presque comme un droit. Un nommé d’Arqueville, auquel on avoit rendu du vin ainsi altéré, en prit de l’humeur, intenta procès aux voituriers qui l’a voient amené, et les traduisit au parlement. Le tribunal les condamna comme voleurs, à payer des dommages et intérêts, à faire amende honorable, et à être fustigés. Il prononça même que dorénavant ceux qui se rendroient coupables du même délit, seroient pendus. Cet arrêt fameux, rendu le 10 février 1550, fit beaucoup de bruit et n’arrêta point le mal. La même friponnerie reprit bientôt son cours et subsiste encore aujourd’hui, malgré le moyen qu’on a pris, qu’on auroit dû croire suffisant pour la prévenir, celui d’abandonner aux voituriers une ou deux pièces de vin, pour leur consommation, pendant la durée du transport. Souvent persuadés, et presque toujours mal à propos, que le vin mis à leur disposition est le moins bon de la charge, ils goûtent à toutes les pièces qu’on leur a confiées, consomment le meilleur vin et frelatent presque tout le reste. Ce brigandage est un des plus grands obstacles que puisse éprouver le commerce des vins, sur-tout des vins de choix.