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commerce, de la Sicile, de la Grèce, de toutes les parties de l’Archipel et des côtes d’Afrique, devinrent le type de ces innombrables variétés de cépages qui couvrent encore aujourd’hui les coteaux vignobles de la France. Ce fut un spectacle ravissant, au rapport de Dunod[1], de voir la foule des hommes, des femmes et des enfans s’empresser, se livrer à l’envi et presque spontanément à cette grande et belle restauration. Tous en effet pouvoient y prendre part ; car la culture de la vigne a cela de particulier et d’intéressant qu’elle offre dans ses détails des occupations proportionnées à la force des deux sexes, à celle de tout âge. Tandis que les uns brisoient les rochers, ouvroient la terre, en extirpoient d’antiques et inutiles souches, creusoient des fosses, les autres apportoient, dressoient et assujettissoient les plants. Les vieillards, répandus dans les campagnes, désignoient, d’après les renseignemens qu’ils avoient reçus dans leur jeunesse, les coteaux les plus propres à la vigne ; ivres d’une joie fondée sur l’espoir de partager encore avec leurs enfans la jouissance de ses produits, ils les consacroient religieusement au dieu du vin, élevoient même sur leur cime des temples agrestes en son honneur[2].

Soit que le climat des Gaules eût acquis une plus douce température par le dessèchement des eaux croupissantes, par la destruction des vieilles forêts[3] ; soit que l’art de cultiver se fûtt perfectionné, la vigne n’eut plus pour limites,

  1. Histoire des Séquanois.
  2. Dunod, Histoire des Séquanois.
  3. Il n’est pas douteux que dans l’espace de deux ou trois siècles, l’accroissement de la population et les travaux de la culture en général n’aient dû contribuer à modérer la rigueur du froid. Il s’en faut beaucoup que l’on puisse juger de la température d’un lieu par sa latitude seulement. Les parties de l’Amérique, par exemple, qui sont placées à une latitude correspondante à celles de la France, de l’Allemagne, de la Prusse, de la Pologne, de la Hongrie sont infiniment plus sujettes que celles-ci aux variations atmosphériques, aux grands froids. Les anciennes descriptions du climat de la Germanie tendent à confirmer que les hivers étoient autrefois beaucoup plus longs, plus rigoureux en Europe qu’ils ne le sont aujourd’hui. Diodore du Sicile nous dit(liv. 5), que les grands fleuves qui parcouroient les provinces romaines, le Rhin et le Danube, étoient souvent pris de glace dans toute la profondeur de leurs eaux, et capables de supporter les poids les plus énormes ; que les Barbares choisissoient ordinairement la saison rigoureuse pour faire leurs invasions, parce qu’ils transportoient, sans crainte comme sans danger, leurs nombreuses armées, leur cavalerie et leurs pesans chariots par ces grands et solides ponts de glace.

    Les naturalistes modernes observent que la renne, cet utile animal, dont les sauvages du Nord tirent les seuls soulagemens à leur vie misérable, est d’une constitution telle que non-seulement elle soutient, mais qu’elle exige le froid le plus excessif. On la trouve sur les rochers du Spitzberg, à 10 degrés du pôle ; elle semble se récréer dans les neiges de la Laponie et de la Sibérie. Maintenant elle ne peut subsister, encore moins se multiplier dans aucun pays situé au Sud de la mer Bal-