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composent la troisième classe, de ces insoucians et coupables propriétaires, qui abandonnent aveuglément leur patrimoine vignoble, à l’ignorance, à la paresse des ouvriers, ou à l’avidité des fermiers. Aucun genre de propriété n’est moins fait pour un tel abandon, parce qu’aucun n’est plus susceptible d’une prompte dégradation ou de dépérissement total. On peut bien appauvrir, stériliser même en quelque sorte une terre à blé par un mauvais assolement ou la privation des engrais ; mais une ou deux années de soins suffisent communément pour lui rendre sa fertilité première. Une vigne livrée à elle-même, pendant une année seulement, est une vigne perdue à jamais. De grands capitaux, en raison de son étendue, et quinze années de travail ne pourront obtenir les mêmes produits d’un terrain qu’elle couvroit. La patrie qui ne peut être indifférente sur les succès ou sur les erreurs des propriétaires, parce qu’elle est intéressée à maintenir ses approvisionnemens au-dedans, et la réputation de ses vins au-dehors ; la patrie, dis-je, sera bientôt vengée. Le propriétaire marche vers sa ruine, et sitôt qu’il a manifesté son incurie, quelque riche qu’on le suppose, sa fortune a dû prendre une marche rétrograde. Champier remarquoit, il y a plus de deux siècles, que les vins d’Orléans devoient le renom dont ils jouissoient, à la surveillance, à l’extrême attention que les propriétaires apportoient, soit à la culture des vignes, soit à la fabrication des vins. Ils ne s’en rapportoient qu’à eux seuls ; ils formoient de ce travail leur unique occupation, et portoient jusques dans les moindres détails l’œil vigilant du maître. Au lieu que les lyonnois et les Parisiens, distraits par leur commerce et leurs affaires, achetoient un vignoble plutôt comme un bien agréable que comme un bien utile, et en abandonnoient entièrement le soin à des mercenaires. « D’où vient, dit Liébaut, que rarement vous entendrez dans la conversation un orléanois ou un bourguignon se plaindre de ses vignes, et que vous entendrez au contraire un parisien se plaindre sans cesse des siennes ? C’est que l’un y veille lui-même, s’en occupe, tandis que l’autre s’en rapporte à un vigneron ignorant ou fripon ».

Les étrangers ont fait la même remarque sur leur territoires vignobles. Voulez-vous savoir, dit M. Meiners, en parlant du prix des vignes dans la Franconie, pourquoi cinquante ares (environ un arpent) se vendent cinq cents florins à Veitzhœchheim, pendant que près de Vurtzbourg, la même étendue n’en vaut que cent ? C’est que les vignes voisines de Veitzhœchheim sont sous l’inspection et la surveillance immédiate des propriétaires, et que la plus grande partie des vignes de Vurtzbourg sont affermées ou abandonnées à des vignerons intéressés ou négligens ; les propriétaires ne les visitent presque jamais. Plusieurs familles de Vurtzbourg ont été ruinées par leurs vignes, parce que cette culture demande des avances