qu’il ne doit pas même être soupçonné dans les pays où elle n’est pas cultivée en grand ; il est produit par l’abondance excessive de ses récoltes. En effet, quelquefois il arrive que les sarmens sont tellement surchargés de grappes, que le prix des vaisseaux destinés à contenir la liqueur, est double de celui qu’aura le vin qu’ils enfermeront.
Si, dans toutes ou dans chacune de ces circonstances, le propriétaire n’a pas des forces suffisantes pour n’être pas sensiblement atteint, c’est-à-dire, s’il ne peut résister, par des moyens pécuniaires, à la privation d’une ou de plusieurs récoltes consécutives ; s’il ne peut attendre que son vin ait acquis une qualité que souvent le tems seul peut lui donner ; s’il ne peut atteindre l’époque, quelquefois assez éloignée, où le surhaussement nécessaire du prix le dédommageroit de ses premières avances, de ses déboursés de culture, des intérêts de ces sommes réunies, et du bénéfice qui doit être la conséquence de son industrie : c’en est fait de lui, de sa famille ; les voilà tous dans la misère, et peut-être pour n’en sortir jamais. Ces exemples ne sont que trop fréquens parmi nous. Aussi, pénétrez dans nos pays-vignobles ; c’est là, il en faut convenir, que vous trouverez une nombreuse, une immense population ; mais une population pauvre et misérable. Vous y verrez ces infortunés propriétaires vignerons, qui composent la classe la plus active, la plus exercée aux travaux les plus pénibles de l’art agricole, épuisés de fatigue, dès l’âge de quarante ans, et succomber bientôt après sous le poids d’une vie qu’on peut appeler immodérément laborieuse, parce que les moyens réparateurs ne sont presque jamais proportionnés à l’épuisement des forces. L’état qui voudroit calculer sa grandeur, d’après une telle population, s’exposeroit à tomber dans de bien graves erreurs. La population, sans doute, peut servir de régulateur ou de mètre pour apprécier ou mesurer la puissance des nations. Mais qui ne sait que l’excès de procréation ou le manque de population produisent les mêmes effets ; que dans l’une et l’autre circonstance, un état tend également vers son déclin, et qu’il y a excès de procréation toutes les fois que les moyens d’existence ne sont pas proportionnés au nombre des hommes ?
Si l’on inféroit de ce peu de mots, qu’à mon avis la culture de la vigne est un fléau pour la France, un obstacle à ses richesses, à sa puissance, on me supposeroit une pensée bien étrangère à mes véritables pensées ; on me supposeroit un système d’économie politique et rurale, entièrement dissemblable de celui que je professe ; on m’attribueroit d’être en contradiction avec ce que tout le monde voit, avec ce que j’ai déjà dit et ce que je dirai encore dans le cours de cet ouvrage. Au contraire, j’ai cru devoir établir le principe, non pas seulement parce qu’il est incontestable par lui-même, mais parce que son développement peut être