Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1796, tome 9.djvu/96

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la montagne où il végète que sera due sa forme. Je dis plus : je suis presque persuadé que son isolement est la seule cause du vaste abri qu’il présente. En effet, nous voyons les chênes, les châtaigniers, les noyers venus de semis, & près-à-près, s’élancer & former des tiges droites de 50 à 70 pieds, ne conservant des branches qu’à leur sommet, tandis que si ces arbres sont isolés, ils s’étendent majestueusement, & couvrent de leur ombre une surface souvent de 80 pieds de diamètre. Il est plus naturel au sapin isolé de former de grands abris, qu’aux arbres dont on vient de parler. Ceux-ci étant jeunes élancent leurs branches sur un angle de dix degrés relativement au tronc, ensuite de 20, de 30, &c. ; parce que chaque branche veut jouir des bienfaits de l’air, & sur-tout de la lumière du soleil. C’est donc à la longue que les branches inférieures s’allongent & parviennent à décrire avec le tronc un angle de 50 a 80 degrés. Leur longueur, la pesanteur des feuilles & des fruits, concourt sans doute à cet abaissement, mais leur allongement tient au besoin qu’elles ont de recevoir la lumière du soleil. Aussi voit-on que ces arbres ne sont feuillés qu’à l’extérieur, & que leurs rameaux descendent jusques près de terre, & l’ensemble forme une voûte presque impénétrable aux rayons du soleil… Les branches du sapin, au contraire, poussent parallèlement & sans s’écarter de la ligne horisontale, ou du moins, elles s’inclinent très-peu. Il faut donc que les inférieures s’allongent beaucoup si elles veulent profiter de la lumière du soleil, dès-lors l’abri devient très-vaste ; mais comme la tige d’un sapin isolé ne s’élève jamais à la hauteur du sapin placé en forêt, la longueur des branches inférieures gagne en largeur ce que le tronc auroit acquis en hauteur… Si on suppose actuellement que ce sapin soit planté isolé, juste à la ligne de démarcation où les tiges de sapin ne peuvent plus s’élever, on trouvera la solution du problème, & on verra que l’isolement & le gissement de l’arbre concourent, ou ensemble ou séparément, à donner la forme à l’abri-tempête.


CHAPITRE II.

De la culture des sapins.

La plupart des auteurs affirment que le sapin ne croît qu’à 900 toises au-dessus du niveau de la mer. Cette assertion trop générale est démentie par les expériences les plus constantes. En effet, M. Duhamel, cet homme dont la mémoire sera toujours chère aux agriculteur, a semé & planté une quantité assez considérable de sapins dans une de ses terres, prés de la forêt d’Orléans. M. de la Chaussée d’Eu en cultive beaucoup ; enfin tous les jardins que l’on appelle anglois, en fourmillent. Ainsi l’élévation indiquée ci-dessus n’est donc pas absolument nécessaire. Les auteurs auroient dû dire : la nature a placé la première région des sapins a 900 toises au-dessus du niveau de la mer, comme elle avoit placé les mélèzes (consultez ce mot) au-dessus de la région des sapins ; mais soit par les soins que les hommes ont donné à ces arbres, soit que la semence ait été entraînée par les eaux ou par les vents, ces espèces d’arbres se sont ou peuvent être, jusqu’à un certain point,