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même contre l’intérêt du propriétaire, d’y semer du sainfoin, qui occupera le terrain pendant huit à dix ans de suite. Il sera bien plus avantageux pour lui d’y établir une bonne luzernière, à tous égards plus productive que le sainfoin ; & encore mieux, d’alterner ses récoltes, une année par le froment, & une année par le grand trèfle, ainsi qu’il sera détaillé dans cet article. Les champs qui ne produisent que du seigle, sont les seuls qu’on doit sacrifier à l’esparcette ; leur emploi annonce assez leur peu de valeur, au moins pour la luzerne ; car pour peu que le pays soit pluvieux, le grand trèfle les alternera très-bien ; ainsi on aura toujours assez de fourrage sans diminuer & même en augmentant la quantité des grains, puisque ce trèfle engraisse le sol, & la récolte suivante en grains est toujours très belle, à moins que la saison ne s’y oppose. Le cultivateur sensé ne sacrifiera que ses mauvais champs à la culture du sainfoin, & conservera les autres, ou pour la culture du grand trèfle, ou pour celle de la luzerne, suivant le grain de terre & suivant sa profondeur.


Section V.

De la récolte du Sainfoin.

L’époque varie suivant les canton ; elle se borne cependant à trois points. Ici on coupe l’esparcette au moment qu’elle est en pleine fleur ; là, on attend que la graine soit formée ; & ailleurs qu’elle soit complètement mûre. Les partisans de la troisième méthode disent, nous avons le fourrage pour la nourriture, & la graine pour vendre ; ainsi c’est un double bénéfice : les seconds pensent que la graine formée contribue beaucoup à la nourriture du bétail ; les premiers enfin assurent qu’au moment que la plante est en pleine fleur, elle contient alors en plus grande abondance que dans aucune autre époque, les vrais principes nutritifs. Pour apprécier la juste valeur de ces trois manières de juger, & afin d’éviter des répétitions, il faut lire ce qui a été dit sur la récolte du foin, dans l’article Prairie, tome VIII, Page 355 ; & quant à sa dessiccation, consultez le troisième & le quatrième de l’article Foin.

Le propriétaire raisonnable ne donne rien au hasard ; les préjugés ne le dominent pas ; il voit, il compare, & se décide ensuite. C’est d’après un examen réfléchi qu’il fait choix de la graine qu’il se propose de semer. Est-on déterminé à détruire une esparcette, on la laisse grainer à sa dernière année ; mais pourquoi veut-on la détruire ? parce qu’elle n’est presque plus productive, & qu’elle est dégarnie & épuisée. Or, si elle est épuisée, elle ne peut donc produire qu’une graine médiocre & petite. C’est précisément ce qui arrive. Avant qu’une plante, produite par une graine rachitique, parvienne au point de perfection dont elle étoit susceptible, il faut plusieurs années pour réparer son vice de naissance, & c’est un temps presque perdu pour la destruction. Le plus grand mal est que la majeure partie de ces graines ne germe pas, ce qui fait perdre une année complette, & force souvent le propriétaire à recommencer son travail sur de nouveaux frais. Au contraire, la bonne graine germe sans peine,