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la plante, cette précaution équivaudra à un nouvel engrais ; alors, & dans ce sens, le tabac engraissera la terre. Au contraire, si l’ardeur de récolter engage à cueillir toutes les feuilles, à ne laisser que la tige desséchée, je ne crains pas de dire que cette culture appauvrira le sol. D’ailleurs, la qualité du tabac ne dépendra pas uniquement de la nature du sol, l’exposition y contribuera encore plus. La plus méridionale, toutes circonstances égales, sera la meilleure, & l’exposition au nord, la plus mauvaise. Le temps & l’expérience instruiront sur la pratique de la culture, & la concurrence, jusqu’à quel point son produit sera avantageux.

J’ai étudie & suivi avec soin ce genre de culture à Armesford. Cette ville de Hollande est le grand entrepôt de son produit ; c’est de là que MM. Grand & compagnie, successeurs de MM. Horneca, expédioient pour la France tout le tabac que la Ferme tiroit de Hollande. Depuis plus de quarante ans, ces MM. étoient chargés des envois. On compte que les seules provinces d’Utreck & de Gueldres produisent annuellement onze millions de livres de tabac, & la Ferme en tiroit trois millions de livres. En 1777, la Ferme générale ne put pas tirer de Virginie ses provisions accoutumées ; MM. Horneca lui en expédièrent six millions de livres. Avant la guerre des États-Unis d’Amérique contre l’Angleterre, le quintal du tabac en feuilles ne coûtoit que seize à dix-sept florins (le florin vaut environ quarante sols, monnoie de France). En 1777 il monta à plus de quarante florins. Les fermiers ne tiroient alors de Hollande que le tabac de la meilleure qualité. C’est une justice qu’on doit leur rendre. Les prix, avant la guerre dont on vient de parler, varioient suivant les qualités des feuilles. Le quintal des feuilles radicales, appelées terriènes à cause qu’elles sont les plus près de la terre, & souvent chargées de sable, coûtoit huit a neuf florins. Les premières feuilles des tiges formoient une classe supérieure à celle des terriènes, & valoient dix à douze florins. Les troisièmes feuilles, de douze à quatorze ; enfin, les quatrièmes feuilles, de quatorze à dix-sept. Les fermiers ne prenoient que ces deux dernières. Je cite ces faits, afin d’avoir une époque fixe de valeur, & qu’on puisse un jour faire la comparaison du point où la culture libre du tabac, en France, soutiendra son prix.

Culture des environs d’Armesford. Des semis. On a de grandes couches en bois de dix pieds de largeur, sur une longueur indéterminée. Elles sont environnées à l’extérieur par une masse de fumier de litière de cochon & de mouton ; & ce fumier est à la hauteur des planches de la couche, ordinairement de trois pieds ; l’intérieur est garni du même fumier à la hauteur de deux pieds, & d’un pied de terre fine, meuble & bien fumée. Le terreau, formé par la décomposition du fumier extérieur employé l’année précédente, sert à faire, avec quelque addition de terre fine, le terreau pour l’année suivante. C’est sur cette terre qu’on sème la graine ; mais comme elle est très-fine, on la mêle avec une farine quelconque ; de sorte qu’en la semant sur la couche, la blancheur de la farine indique l’endroit qui est semé.