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une preuve que l’administration sentoit toute l’importance de la plantation des arbres sur les bords des chemins, & la punition infligée aux riverains négligens, paroissoit un véhicule assez fort, pour les engager à prévenir les plantations que les grands voyers étoient en droit de faire à leur place. Ces arrêts, ces réglemens sont en pleine vigueur dans les environs de la capitale, & dans les provinces ils ne sont pas mis a exécution. Leur exécution seroit une espèce d’injustice autorisée par le gouvernement ; en effet, qu’on suppose un simple propriétaire & peu aisé, ayant un seul champ bordé par le chemin sur une certaine longueur ; quel arbre plantera-t-il ? Dans le cas qu’il trouve à en acheter, ses facultés lui permettront-elles d’en faire l’acquisition ? Il lui en coûtera au moins dix sous soit pour creuser la fosse de six pieds en carré, sur deux & demi à trois de profondeur, soit pour la combler après avoir planté l’arbre. L’achat d’un noyer, ou d’un ormeau, ou d’un sycomore, &c., de grandeur & grosseur convenables, est au moins de 50 sous ; ainsi, chaque pied d’arbre planté lui reviendra à 3 livres.

Trouve-t-on dans les provinces beaucoup de propriétaires en état de faire cette dépense, pour peu que le nombre d’arbres soit considérable ? Admettons que cette dépense n’excède pas leurs forces ; mais où prendre ces arbres ? Il faut donc les faire venir du voisinage des grandes villes où l’on trouve des pépinières. Les frais de voiture, les droits de douane, car on les perçoit sur les arbres, sont donc à ajouter à ceux de l’achat ; & pour peu que la distance soit considérable, c’est encore 20 sous par pied d’arbre à ajouter à la première mise ; ainsi, un arbre en place revient à 4 livres. Bientôt nous examinerons si le propriétaire retira son intérêt de l’arbre qu’il vient de planter.

Les différentes suppliques présentées à l’administration lui firent reconnoître l’impossibilité où étoient les riverains de trouver de quoi border les grandes routes ; elle se détermina à ordonner d’établir dans chaque province des pépinières royales, dont les fonds furent pris sur les tailles ; & par conséquent la noblesse & le clergé profitèrent largement de leurs produits, sans qu’il leur en coûtât rien. Il faut convenir que dans un très-petit nombre de nos provinces les arbres des pépinières royales servirent à border une certaine étendue de leurs routes ; mais dans celles où les arrêts de 1720 n’étoient pas en vigueur, les arbres furent donnés aux gens riches, qui s’en servirent pour peupler leur parc, pour planter les avenues de leurs châteaux, & le pauvre cultivateur n’en eut point. Il est résulté de ces abus, que plusieurs intendans ont supprimé les pépinières ; que presque toutes les assemblées provinciales ont demandé la suppression de celles qui existent encore. Voilà comme en France, les établissemens les plus sages & les plus utiles deviennent onéreux au pauvre peuple qui paie & qui n’en tire aucun profit. En attendant, les routes ne sont pas boisées. On doit planter ; la loi le prescrit ; ainsi, la solution est donnée sur la première partie du problème. Comment doit-on planter ?