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chanvre, ils n’en furent pas affectés ni enivrés ; mais ayant réitéré cette expérience, & mis le poisson après le sixième jour dans le réservoir où le chanvre étoit en grande masse, ils ne furent point enivrés ; mais tout périt, avec la différence que la mort des poissons fut graduée, d’après leur force, au lieu que les poissons enivrés l’avoient tous été entre le second & le troisième jour. Plusieurs observations résultent de ces expériences ; la première, que le poisson enivré étant à la surface de l’eau, s’il étoit entraîné par des courans, ou par le vent, ou si l’eau n’étoit pas stagnante, ne périroit pas. La seconde, c’est que la fermentation que le chanvre éprouve dans le rouissage, détruit la virulence narcotique & naturelle à cette plante ; que le poisson n’y périroit pas de même, s’il trouvoit une plus grande masse d’eau ; que l’eau du chanvre est alors au poisson, ce que seroit pour lui une eau de fumier où il périroit également malade, mais non enivré.

Si l’on a vu l’eau des petits routoirs, répandue sur les prés, être nuisible aux plantes, rendre les animaux malades, & même les faire périr promptement, c’est que les engrais trop forts & en masse brûlent les plantes, & que l’on ne peut sans danger faire pâturer des animaux sur des herbes chargées & noyées de substances volatiles & putrides, que l’air n’a pas encore évaporées, & que le temps n’a pas assimilées aux sucs de la terre, pour en former ensuite une saine & vigoureuse végétation.

Ce qui fait périr le poisson, est donc la trop grande quantité de chanvre accumulée dans un ruisseau, ou dans une petite rivière : il a beau fuir, il ne peut éviter le sort qui l’attend.

Les anciennes & les nouvelles coutumes de presque toutes les provinces du Royaume, par la crainte de l’infection des eaux & des personnes, ont proscrit le rouissage dans les eaux courantes, dans les eaux mêmes qu’on en auroit détournées, à moins qu’on ne les rendît plus aux rivières, aux étangs, ni aux eaux qui sont d’un usage commun.

Les réglemens de la table de marbre, les loix forestières, les arrêts du conseil, en ont décidé de même ; ainsi cette défense fait partie du droit public de France. Les seuls routoirs permis sont les eaux mortes, non poissonneuses, éloignées des habitations. Y en a-t-il beaucoup de ce genre en France, autres que les marais, les marres & les fossés ? Ainsi, lorsque la loi défend si légitimement les rizières tant qu’elles ne seront pas perfectionnées, elle permet, ou disons mieux, elle oblige, pour le rouissage du chanvre, à multiplier ces marres empestées, ces foyers d’infection qu’il faudroit anéantir. La nécessité de réformer cette jurisprudence est bien démontrée, puisque les préposés sont presque toujours forcés de fermer les yeux ; sans quoi il faudroit presque anéantir la culture du chanvre en France, tandis qu’elle mérite a tous égard d’être encouragée par le Gouvernement ; car loin de nuire aux récoltes des blés, elle les augmente par la bonification des champs, & ne laisse pas en pure perte l’année des jachères. Ne vaudroit-il pas mieux fixer