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tres chiens. Leur maladie se manifesta quelques jours après, & ils la communiquèrent à plusieurs habitans. Il y avoit alors dans ce bourg un de ces médecins ambulans, communs dans ce pays-là. Il tira parti de l’aventure des deux ouvriers. Il pansa les malades blessés par les chiens, avec de l’huile mise aussi-tôt sur la morsure. Il changeoit souvent les compresses, & même il leur en faisoit boire un peu. Aucun n’en mourut, & tous ceux qui ne s’adressèrent pas à lui périrent. Cet anglois, nommé le Clerc, françois d’origine, homme très-véridique, rempli de diverses connoissances, m’a assuré qu’il avoit depuis préservé lui-même plusieurs personnes mordues de chiens enragés, en employant le même remède.

J’ai cru devoir rendre compte au public de ce que le hasard m’a fait apprendre. Je regrette seulement de ne pas savoir de quelle espèce d’huile se servoit le médecin dont j’ai eu l’honneur de vous parler sur le rapport de M. le Clerc.

Sabatier, de l’académie des Sciences, membre du collège & de l’académie de chirurgie, & qui jouit, dans cette ville, de la plus grande réputation, a lu à la séance publique de l’académie des Sciences, le 13 de juin 1784, un mémoire sur un très-grand nombre de morsures faites à une même personne, par un chien enragé, & l’extrait de ce mémoire est consigné dans le Journal de Paris du 19 novembre 1784 ; nous allons le transcrire. Il confirme ce que M. Thorel a dit plus haut dans l’article Médecine vétérinaire, sur la cautérisation par le feu.

M. Sabatier, en constatant, comme il le fait dans ce mémoire, la préférence que l’on doit donner à une méthode sur les autres dans le traitement de la plus horrible des maladies, la rage, acquiert des droits à la reconnoissance de l’humanité entière. Le 17 février dernier, un chien, destiné à la garde d’une maison, devient enragé, se jette sur le jardinier & le blesse à la lèvre supérieure. On enferme l’animal dans le jardin, où on lui descend des alimens par une fenêtre. On crut qu’il buvoit & mangeoit ; d’ailleurs il venoit à la voix. Un jeune homme de 22 ans, grand & robuste, se jhasarde à entrer dans le jardin ; le chien approche, apperçoit de l’eau, recule, & bientôt après s’élance sur le jeune homme ; il appelle du secours, que la crainte rendit tardif, il lutte avec l’animal & parvient à le terrasser. Le maître arrive armé d’un couteau de chasse & égorge le chien. Le jeune homme est couvert de blessures, dont quelques-unes étoient considérables.

Cependant le jardinier étoit sans inquiétude, mais le jeune homme ne l’étoit pas. M. Sabatier est appelé, & propose d’élargir celles des blessures qui en avoient besoin, & de les cautériser toutes à une assez grande profondeur. Ces blessures étoient au nombre de vingt-cinq, & les égratignures remarquables au nombre de cinquante. L’opération fut différée jusqu’au lendemain, par des circonstances particulières. Il falloit du courage pour la supporter. M. Sabatier n’eut pas besoin d’en inspirer au malade, quoique le supplice auquel il alloit être exposé dût devenir bien long. Les ouvertures faites par les dents de l’animal, les égratignures,