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feuilles, à coup sûr elles appartiennent à des plantes graminées moins précoces dans leur végétation, & par conséquent dans la maturité des tiges.

D’après ces principes dictés par la loi naturelle, je persiste à dire & à soutenir que la véritable époque de couper un fourrage quelconque pour la nourriture du bétail, est lorsque la masse totale des plantes est en pleine fleur ; parce que c’est le temps où la plante entière contient le plus de parties nutritives, & où ses principes sont les plus développés. Si on objecte que la perfection des graminées doit ressembler à celle du raisin, qui ne donne du vin excellent que lorsqu’il est parfaitement mûr, je répondrai ; 1°. qu’on cultive les vignes pour leur fruit ; 2°. que si on les cultivoit pour les pampres, pour les feuilles, il faudroit saisir le moment de la pleine fleur ; la vigne repousseroit de nouveaux sarmens qui produiroient une ou deux récoltes, & ce travail finiroit par épuiser le cep. Celui qui m’a sérieusement proposé cette objection, auroit pu se convaincre qu’elle étoit entièrement destructive du système qu’il défendoit. En effet, suivons les progressions de la végétation dans le sarment. Avant la fleuraison, il est herbacé, ses feuilles sont tendres, pleines de suc. Dès que la fleur est passée, & à mesure que le raisin approche de sa maturité, le sarment devient ligneux, les feuilles deviennent sèches & coriaces ; enfin, dans les pays vraiment méridionaux, le sarment est mûr & les feuilles presque toutes tombées au moment de la vendange. Si on ne craint pas la pluie, on laisse ainsi le raisin à nu exposé pendant 8 ou 10 jours aux ardeurs du soleil, & dans quelques endroits, exposé aux petites gelées : dira-t-on après cela que si la vigne étoit destinée à la nourriture des animaux, il fallût attendre ces dernières époques, qui sont celles où le vin est le meilleur, pour cueillir les feuilles & les sarmens ? On auroit du bois & rien, de plus. D’où il faut conclure qu’avant de faire une objection, elle doit être prise dans la similitude des objets, & non pas dans la disparité d’une de leurs parties.

J’ose assurer qu’en me fixant à l’époque indiquée, j’ai eu un fourrage beaucoup plus odorant, d’une belle couleur verte, & que le bétail & les chevaux ont mangé avec plus d’avidité que celui qui avoit été coupé à la maturité ou près de la maturité de la graine. Comme il s’agit ici d’un point de fait, j’invite le cultivateur à s’en convaincre par l’expérience qui en démontrera mieux les avantages que tous mes raisonnemens.

Ces avantages ne se bornent pas à la première coupe, ils influent singulièrement sur la seconde ; je ne connois de leçons utiles que celles qui sont dictées par la nature ; ainsi, étudions sa marche pour nous instruire. La plante, en général, est fatiguée par la gestation, & les plantes annuelles dépérissent & meurent aussitôt après. Leur destination est remplie, c’est celle de la reproduction des espèces par les semences. Dès que le chanvre mâle a fécondé la plante de chanvre qui porte les fleurs femelles, son existence devient inutile à l’ordre général ; aussi il se hâte de jaunir & de se dessécher, tandis que la végétation de la plante femelle subsistera encore