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Cette vérité est si bien reconnue des médecins & des apothicaires, qu’ils n’ordonnent & ne récoltent les plantes herbacées que lorsqu’elles sont en pleine fleur, & ils savent que cette époque passée, la formation & l’accroissement du grain en absorbent tous les sucs, & les changent au point de ne plus produire les mêmes effets sur les malades. Telle est la métamorphose qui s’opère pendant le passage de la fleuraison à la formation des grains & à leur maturité. Veut-on encore un exemple de cet effet & à la portée de tout le monde ? L’orge, avant la fleuraison, donnée en vert aux chevaux, aux bœufs, &c. leur tient le ventre libre ; la fleuraison passée, le grain formé, elle cause la fourbure aux chevaux, il est donc démontré qu’après la fleuraison, les tiges & les feuilles des graminées contractent des propriétés bien opposées à celles dont elles jouissoient auparavant. Tel est le principe que je devois préliminairement établir avant de tirer des conséquences & de combattre une méthode que je regarde comme très-préjudiciable.

On ne récolte pas le foin pour avoir la graine, mais uniquement pour l’herbe. D’ailleurs cette graine est trop petite pour mériter quelque considération, & comme elle est foiblement enchâssée dans les balles qui l’environnent, elle tombe en partie sur la prairie, & la majeure partie reste sur le plancher de la fénière, ainsi qu’on le voit lorsque le fourrage en est enlevé. Si la graine est, moralement parlant, inutile, pourquoi donc attendre sa maturité ? Si l’épi est grainé & pas encore mûr, il produira en petit le même effet que l’orge qui a passé fleur. Ainsi, dans l’un & dans l’autre cas, il est inutile & même nuisible d’attendre, pour mettre la faulx dans la prairie, que la graine soit mûre ou presque mûre.

Il a été démontré que la plante jouissoit de toutes ses perfections au moment où elle fleuriroit ; qu’après cette époque elle diminuoit de principes, que le cours de la sève étoit en quelque sorte oblitéré dans les canaux de la plante. Il est donc clair que la plante graminée est dans le meilleur état au moment de sa fleuraison ; & pour peu qu’on veuille raisonner conséquemment, il est démontré qu’elle doit être coupée à cette époque & non à aucune autre. Si on n’est pas encore convaincu de cette vérité, je demande à l’homme le plus incrédule s’il attend la maturité de la graine de la luzerne, des trèfles, des sainfoins ou esparcettes pour les faucher ? il s’en garde bien, parce qu’alors toutes ces plantes sont presqu’entièrement dépouillées de leurs feuilles, & qu’il n’a plus alors que des broches ou tiges nues, sèches & coriaces. Si le fait est tel que je l’annonce, ce dont chacun peut se convaincre au premier coup-d’œil, je demande si le principe n’est pas le même pour les graminées que pour les herbes à fleurs en papillon ? J’ose dire qu’il est strictement le même, & que les graminées ne sont point exception à la loi générale.

Si le cultivateur prenoit la peine d’examiner son fourrage lorsqu’il a été abattu au point de la maturité ou de la prochaine maturité des graines, il verroit que les tiges des graminées sont sans feuilles, que les inférieures ont commencé à sécher dès que la fleuraison a eu lieu, & ainsi de suite ; mais s’il se trouve des