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commencement de mars. La première irrigation mérite la plus grande attention, & ne peut & ne doit avoir lieu au plutôt qu’à la fin d’avril, à moins qu’une sécheresse forte, longue & décidée, ne prescrive le contraire ; dans ce cas la terre n’est point tassée, & une irrigation un peu forte entraîneroit ou dérangeroit tout le terrain mouvant ; il faut donc que l’herbe ait beaucoup talé en racines & qu’elle soit haute pour commencer à arroser.

L’irrigation d’amendement, c’est à dire, celle d’eau de fumier & de fumier fermenté, donnée à la même époque que dans les provinces méridionales, produiroit bien peu d’effet, parce que pendant l’hiver la végétation est complètement nulle ; d’ailleurs, les pluies dans ces climats du nord sont très-fréquentes en novembre & en décembre, & elles entraîneroient hors du pré la majeure partie des principes constituans de l’engrais qui n’auroient pas eu le temps ni la faculté de se combiner avec le sol. Je conviens bien que le sol peut en être imprégné ; mais ce mélange n’est pas une combinaison ; la combinaison ne peut exister sans fermentation, & la fermentation sans chaleur ; ainsi il n’y a donc réellement point ou presque point de fermentation pendant l’hiver, & toute irrigation d’engrais est inutile & doit être réservée pour la fin de cette saison, chacun suivant son climat, mais jamais-pendant la première année.

Pour les prairies déjà faites, encore chacun suivant son climat, l’époque d’y mettre l’eau est dès qu’on ne craint plus ni les neiges ni les gelées, & lorsque la couleur verte commence à s’animer ; l’abondance de l’eau doit être en raison des progrès des plantes, & par conséquent en raison de la chaleur. L’herbe fortement & souvent arrosée s’alonge sans prendre du corps, & donne ensuite un fourrage délavé, maigre, peu nourrissant, & qui souffre un déchet considérable en se desséchant ; il étoit, pour ainsi dire, boursouflé par l’eau, & cette eau, en s’évaporant, n’a laissé que des brins étiques & vides, peu chargés des principes de la sève. Cette abondance d’eau est à la bonté du fourrage ce que l’abondance d’eau est au raisin quand la saison de là maturité est fort pluvieuse. Celui-ci donne un vin sans force, & celui-là une herbe sans vertu.

En général, il est plus qu’inutile de conduire en hiver l’eau sur la prairie, à moins que cette prairie ne reçoive les eaux des chemins, des rues, &c. ; & il vaudroit encore mieux les recueillir dans de vastes réservoirs, pour s’en servir au besoin & ainsi qu’il a été dit. Cependant si les souris, les mulots se jettent dans la prairie, y multiplient leurs galeries, noyez-les par l’eau & forcez-les de porter ailleurs leurs ravages.

Au premier printemps on craint les gelées blanches, & sur-tout l’effet des gelées tardives. Les unes & les autres ont beaucoup plus d’action lorsque la prairie a été nouvellement arrosées mais comme dans plusieurs cantons voisins des hautes montagnes, dans les vallons, les gelées sont plus fréquentes que partout ailleurs, on doit donc y être plus