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CHAPITRE III.

De la conservation des prairies.

Elle exige trois choses ; les soins à lui donner depuis le moment du semis & qu’on renouvelle chaque année ; la manière de les arroser ; enfin celle de récolter le soin.


Section Première.

Des soins à donner à un pré dès qu’il a été semé.

Du moment que la graine est semée & recouverte par la herse, on ne doit plus entrer dans la prairie. Il faut donner à l’herbe le temps de croître & à la terre celui de se tasser. Si l’entrée en est interdite aux hommes, elle l’est donc à plus forte raison au bétail & aux troupeaux qui, par leur piétinement lui feroient un tort irréparable. C’est pourquoi, s’il est possible, il convient d’entourer la prairie d’une haie sèche, ou de boucher toutes les trouées dans les haies vives, & si on ne peut exécuter ni l’un ni l’autre, il est expédient de la faire veiller avec soin.

À l’époque d’avril, dans les provinces du midi, la graine semée en septembre ou au commencement d’octobre est déjà forte & couvre le champ ; c’est le cas alors de commencer à ouvrir les rigoles, les saignées conductrices des eaux ; mais si à cette époque la terre est encore bien imbibée des pluies d’hiver, on retardera l’opération, parce qu’on foule trop l’herbe & on piétine trop la terre qui n’est pas aussi ferme & rassise que lorsqu’elle sera plus sèche & l’herbe plus forte. Comment doit-on faire les saignées ? On l’examinera dans la Section suivante.

Laisser subsister des arbres, ou fruitiers ou forestiers sur une prairie susceptible d’irrigation, c’est une faute impardonnable. L’ombre des arbres nuit à la prairie & rend l’herbe qu’elle recouvre, courte, aigre & de mauvaise qualité ; l’arbre fruitier donnera rarement du fruit ; les irrigations, à l’époque de la fleur, l’empêchent de nouer, & comme elles sont souvent répétées, la chair du fruit est molle, sans goût, & il ne se conserve pas. Ces irrigations peuvent être avantageuses à certains arbres forestiers, mais s’ils prospèrent, c’est aux dépens de la prairie : ainsi, dans tout état de cause, un propriétaire intelligent détruira tous les arbres, & ne conservera que ceux qui sont placés, par exemple, le long du chemin ou au bord de la rivière, du ruisseau. Ici, loin de nuire au sol, ils le conservent par l’entrelacement de leurs racines, qui forment une digue contre l’impétuosité des eaux courantes. Si d’un côté ils procurent quelques avantages, soit pour la conservation du sol, soit pour donner un fagotage destiné pendant l’hiver à la nourriture des troupeaux, soit enfin du bois de chauffage, ou des cerceaux que l’on fait avec le bois de frêne, de tremble, &c. ces arbres deviennent accidentellement nuisibles. Ils occasionnent par l’humidité qu’ils retiennent & concentrent sur la prairie, des gelées tardives, très-préjudiciables à l’herbe nouvelle. Sur ce point de fait, chaque propriétaire doit consulter son plus grand intérêt. J’ai vu une prairie assez considérable presque abîmée chaque année par ces gelées, parce qu’elle étoit environnée de toute part, de