Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1786, tome 7.djvu/804

Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’arbre qui en proviendra, parce que c’est l’arbre naturel. Plantez avec les conditions requises, un arbre avec son pivot, & un arbre auquel on l’aura supprimé, & vous verrez que le premier profitera plus dans trois ou quatre ans, que l’autre en dix. C’est donc de gaieté de cœur, que, par la suppression du pivot, on court le risque d’avoir une reprise incertaine, une végétation languissante pendant les premières années, & jamais aussi forte dans la suite que dans l’arbre à pivot.

Si d’après de telles preuves, la vieille habitude l’emporte sur sa raison, je conjure les jardiniers de sacrifier seulement deux arbres à cette expérience. Alors ils jugeront de ce que je dis par leurs yeux, par leurs mains, & enfin par toutes leurs facultés.

Une ignorance stupide, une parcimonie mal entendue, ont donné naissance au barbare usage de la soustraction du pivot, & l’intérêt du pépiniériste ou marchand d’arbres, a été la source du mal. Afin que les tiges s’élèvent plus perpendiculairement, ces hommes qui ne cherchent qu’à vendre, plantent trop près leurs sujets dans les pépinières. Le particulier se présente, désigne l’arbre qui lui plaît & le fait, non pas enlever, mais arracher de terre ; le pépiniériste veut ménager les arbres qui environnent celui qu’on enlève, & avec le tranchant de la bêche il cerne & coupe toutes les racines de la circonférence à un pied du tronc. Le pivot tient encore l’arbre assujetti ; mais pour le débarrasser, l’ouvrier fouille la terre à la profondeur de huit à douze pouces ; ensuite, à coups redoublés de tranchant de bêche, le pivot est meurtri, mâché, enfin coupé. Si quelques racines tiennent encore, on les éclatte de même ; enfin deux ou trois ouvriers se saisissent de la tige de l’arbre, &, par leurs efforts réunis & redoublés, ils achèvent de briser tous les liens ; enfin l’arbre est arraché de terre. Des mains du pépiniériste, ce malheureux arbre passe dans celles du jardinier. Ici commence un nouveau genre de supplice, ou plutôt sa prolongation est un renchérissement sur le premier. Il faut, dit-on, rafraîchir le tout de toutes les racines, c’est à-dire, en renouveler les plaies ; mais ce qui reste du pivot, à peu près sur la longueur d’un pied, embarrassera dans la plantation ; sa proscription est prononcée & le voilà entièrement supprimé. Enfin ce pauvre arbre est planté ; le jardinier admire son ouvrage & croit avoir fait des merveilles. Cette manière d’opérer est celle de tous les pays, parce qu’une mauvaise pratique ressemble à la flamme qui se propage d’elle-même, jusqu’à ce qu’un obstacle plus fort qu’elle, s’oppose à ses ravages ; mais en revanche, il faut un siècle pour établir une vérité. Elle est la goute d’eau qui, très-à la longue, creuse la pierre.

Ne perdons jamais de vue la marche admirable de la nature, apprenons à lire dans le grand livre qu’elle tient sans cesse ouvert à nos yeux ; nous y verrons de quelle nécessité est le pivot pour la prospérité & la beauté de l’arbre ; remarquons que si, à une certaine profondeur, il se trouve au-dessous du pivot une couche de pierre, de terre. &c. dans laquelle il ne peut pas pénétrer, alors il se coude, prend l’horizontalité, &