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verdure. Notre travail outre-passe la règle ordinaire établie par la nature, & un arbre n’est jamais aussi beau l’année d’après, que lorsque les insectes ont peu ravagé ses feuilles. D’où l’on doit nécessairement conclure que le mûrier n’exige pas, comme chose essentielle, d’être effeuillé chaque année. Effeuille-t-on le chêne, l’ormeau, &c. ? Nous forçons donc la nature, nos besoins de luxe l’exigent ; mais c’est aux dépens de l’arbre. Un mûrier qui ne sera jamais taillé, vivra beaucoup plus longuement que celui qui est effeuillé chaque année, il aura un tronc plus sain, & il sera moins sujet aux maladies.

À mesure que le cueilleur effeuille un arbre, il doit séparer les mûres, & les jeter de côté. Ce point est essentiel. Les fruits exhalent un air mortel ou fixe, (voyez le mot Air) & l’expérience a prouvé que la mûre en produisoit beaucoup, & plus encore lorsqu’elle approchoit de sa parfaite maturité. Il est donc important de ne pas mêler ces fruits avec les feuilles dans les sacs ou toiles, au moyen desquels on les rapporte des champs. D’ailleurs c’est en pure perte augmenter le poids du fardeau. Les feuilles s’approprient cet air empoisonné, & il devient nuisible au ver à soie. Nous entrerons dans de plus grands détails au mot ver à soie.

Aussitôt que les charges de feuilles sont arrivées au logis, on doit vider les sacs, les étendre dans un lieu bien aéré, finir de séparer rigoureusement les fruits, qu’on jette dans la basse-cour pour la nourriture de la volaille. Si les feuilles restent amoncelées, pressées, serrées, elles s’échauffent, fermement, & causent aux vers des maladies dangereuses.

Lorsque l’on fait tant que de cueillir la feuille, il faut en dépouiller l’arbre complétement. Si on en laisse par-ci, par-là, ou des branches sans l’y cueillir, la séve suit sans peine son cours ordinaire ; elle se porte toute de ce côté, & ne nourrit plus qu’imparfaitement la partie effeuillée. C’est un des points les plus essentiels dans la cueillette de la feuille.

Lorsque l’on loue ou afferme des mûriers, il faut que ce soit en présence de deux témoins, encore mieux par écrit signé de deux contractans. Après être convenu de la somme, on insère ces deux articles. 1°. Que toute la feuille sera rigoureusement cueillie, & que si elle ne l’est pas, le bailleur prendra des ouvriers pour dépouiller celle qui restera, aux frais du preneur. 2°. Que si le preneur casse des branches, il payera le dommage suivant l’estimation des experts. C’est pousser, dira-t-on, le rigorisme bien loin. J’en conviens, mais c’est en même temps le seul moyen de prévenir ces deux inconvéniens. Combien de fois n’ai-je pas vu casser volontairement de grosses branches, afin de les emporter, & même simplement pour avoir le plaisir de les briser, parce que l’arbre n’appartenoit pas à celui qui cueilloit ? Avec un semblable contrat, on est le maître de poursuivre à la rigueur l’exécution des clauses, ou de faire la grâce que l’on veut ; mais, à coup sûr, ces mêmes clauses tiennent les cueilleurs sur leurs gardes, & les rendent plus attentifs. Dans combien de provinces du royaume n’est-on pas forcé de suivre cette marche ?

Si, dans le temps de l’éducation des vers à soie, il survient de longues pluies, on sait combien cette