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Article IX.

De l’économie qu’il y auroit à acheter le pain, au lieu de le fabriquer.

L’homme qui fait sa principale occupation d’un objet qu’il a étudié & examiné sous ses différens points de vue, qu’il traite en grand & avec l’intérêt de la perfection, non-seulement le connoît mieux, mais il épargne encore sur les frais. C’est une vérité reconnue & démontrée dans tous nos ateliers où l’on apprend à chaque instant que le succès d’une expérience dépend moins du procédé que d’une manipulation acquise par l’habitude.

Le pain le mieux fabriqué & le plus économique, n’est assurément pas celui que l’on fait chez soi ; en supposant que le four soit bien construit, qu’il ferme exactement, & que l’on sache en diriger le feu, il faut énormément de bois pour chauffer ce four refroidi pendant huit jours d’intervalle d’une fournée à l’autre. Le degré de chauffage si difficile à saisir, le sera-t-il moins pour le particulier qui ne cuit ordinairement qu’une fois la semaine, & qui n’a souvent qu’une routine aveugle pour guide ? Aussi n’obtient-il la plupart du temps qu’un résultat imparfait, & tout en consommant du pain pâteux ou brûlé, il se console encore, persuadé qu’il lui revient à beaucoup meilleur marché que celui du boulanger.

Les particuliers fatigués des embarras & des détails que demande la cuisson toujours coûteuse, quand elle n’est pas bien dirigée, n’ont pas encore renoncé à l’habitude de préparer la pâte chez eux : ils croyent qu’en l’envoyant cuire chez le boulanger ils feront une économie.

Mais la conduite des levains, les opérations du pétrissage & le gouvernement de la fermentation étant déjà difficiles pour le boulanger qui suit les mouvemens progressifs que la pâte éprouve dans un même endroit, comment chaque particulier opérant sur des farines tantôt sèches, tantôt humides, provenant de blé nouveau ou vieux, faisant sa pâte ferme ou molle à l’eau bouillante ou tiède, avec un levain jeune ou fort, en grande ou en petite quantité ; de quelle manière disons-nous le particulier pourra-t-il espérer que de tant d’espèces de pâtes différemment composées & pétries, ballottées en chemin, arrivées trop tôt ou trop tard à la boulangerie, enfournées à la fois, sans considération pour leur degré d’apprêt, il puisse obtenir autre chose qu’un pain plat, gris, aigre ou bien lourd, massif & pâteux ? Comment sera-t-il possible de juger qu’on a le pain de sa pâte, & qu’il n’en a pas été détaché un morceau, puisqu’il est si difficile d’estimer au juste le déchet des moutures & de cuisson ?

Dans la plupart des grandes villes, on ne fait plus le pain à la maison : les habitans mêmes de quelques bourgs qui recueillent des grains, préfèrent les vendre quand ils le peuvent, plutôt que de les transformer eux-mêmes en aliment. L’économie qui a fait adopter cet usage, n’a jamais ramené sur leurs pas ceux que l’expérience a éclairés, en leur démontrant que le bénéfice résultant de la vente du pain nécessaire à la consommation d’une famille, ne dédommage jamais des frais de fabrication, sans compter les embarras, les solli-,