Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1785, tome 6.djvu/98

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tils, pour voir si ceux dont on s’est servi dans la journée sont rangés à leur place, si rien ne traîne & si tout est dans l’ordre. Heureux celui qui possède un homme pareil ! on ne sauroit trop le payer, puisque le travail, l’eau & lui sont l’ame d’un jardin quelconque. Ce n’est pas assez qu’il soit instruit, qu’il soit vigilant, il doit encore être fidèle & nullement ivrogne.

En général les jardiniers maraîchers qui demeurent chez les bourgeois, font un commerce clandestin très-préjudiciable aux intérêts du maître ; c’est celui des graines, des primeurs, &c. Communément on laisse les plus belles plantes monter en graine : un ou deux pieds suffiroient pour l’entretien d’un jardin ; ils en laissent dix & vingt, sous le spécieux prétexte que si les uns manquent, les autres réussiront. C’est de cette manière que sont pourvues les boutiques des marchands de graines des environs. Combien de fois les propriétaires ne sont-ils pas forcés de racheter leurs graines chez ces receleurs ?

L’objet des primeurs est d’une grande conséquence. Si le propriétaire aime à jouir, leur soustraction le prive du seul plaisir qu’il se promet de son jardin ; si au contraire il veut se dédommager de ses dépenses, & avoir un bénéfice sur le produit des ventes de ses légumes, le jardinier infidèle lui enlève la partie la plus claire. Enfin si ce jardinier est chargé des ventes, s’il trompe sur ces ventes, & les tourne à son profit, le bénéfice est zéro, & la perte seule est réelle : de là est venu une autre maxime, qui dit que le jardin du bourgeois lui coûte plus qu’il ne lui rend. Enfin, lassé de beaucoup dépenser sans jouir, il finit par affermer & par n’être plus le maître chez lui.

Admettons qu’on soit dans la ferme persuasion que son jardinier est fidèle ; sur quoi est-elle fondée ? Sur une physionomie heureuse, un air de bonne foi, & même de désintéressement. Je croirai à ses bonnes qualités, quand l’expérience les aura prouvées. Il faut, pour sa tranquillité, une certitude réelle & non pas idéale. À cet effet on choisira un ou deux jours de marché par mois, & l’on fera acheter par des personnes affidées & sûres tous les légumes qu’il y aura portées ; alors, certain sur le montant de la vente, on verra si la balance sera exacte avec la recette dont il rendra compte. Cette expérience, plusieurs fois répétée par des personnes & à des reprises différentes, sera la vraie pierre de touche : il en est ainsi pour les fruits ; &c. Les seigneurs, les personnes opulentes trouveront peut-être ces précautions mesquines ; mais le particulier qui vit sur un revenu modéré, qui est chargé d’enfans, n’est pas dans le cas de se laisser voler impunément. Si ce dernier est assez heureux pour avoir un jardinier instruit, laborieux & fidèle, qu’il augmente ses gages, lui accorde des gratifications ; enfin qu’il se l’attache par ses bienfaits, & le conserve avec le plus grand soin.

Il est bon de faire connoître une autre manière de friponner des jardiniers chez les bourgeois. Sous prétexte que la saison presse, que les travaux sont arriérés, &c. ils deman-