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Pendant que Lenotre soumettoit tout au cordeau, à l’équerre & à la symétrique correspondance, le célèbre Dufresny s’étoit déjà ouvert une route nouvelle, & d’une main hardie, mais, ami du beau naturel, il traçoit les jardins de Mignaux, près Poissy, ceux de l’abbé Pajot, près de Vincennes, & présentoit à Louis XIV deux plans de jardins pour Versailles. Les idées neuves de Dufresny furent envisagées comme ridicules par les uns, & leur exécution comme trop dispendieuse par les autres. Leur singularité empêcha qu’on sentît le mérite de ce genre nouveau ; le plan de Lenotre fut préféré à ceux de Dufresny, & bientôt, à force de dépenses, furent tracés les froids, monotones & magnifiques jardins qui existent aujourd’hui. On y cherche en vain la belle & simple nature, à sa place on voit l’art régner d’un bout à l’autre, & la figure des arbres atteste l’esclavage sous lequel ils gémissent.

Il est constant qu’au commencement de ce siècle, les jardins en Angleterre ne différoient en rien de ceux de l’Europe ; ou plutôt l’art des jardins, mêmes symétriques, y étoit inconnu avant Lenotre. Environ l’an 1720, parut Kent, homme de génie, artiste plein de goût ; il présenta à l’Anglois, ce peuple ami de la nature, la nature elle-même dans la composition des jardins, & son entreprise des jardins d’Esher, maison de campagne du ministre Pelham, produisit une révolution totale.

Le goût des jardins appellés anglois, & qu’on devroit plutôt nommer chinois, s’étend aujourd’hui dans toutes les parties du continent ; mais on a la fureur, sur un espace très circonscrit, d’entasser objets sur objets ; tout y est mesquin, rétréci, petit, parce que les compositeurs de ces jardins n’ont pas encore des yeux exercés à contempler la nature, ni assez de génie pour l’imiter dans sa simplicité & dans ses champêtres décorations.

Il a paru, depuis quelques années, plusieurs ouvrages sur la composition de ces jardins. En 1771, l’art de former les jardins modernes, ou l’art des jardins anglois, à Paris, chez Jombert, 1 vol. in-8°. En 1774, M. Watelet publia son essai sur les jardins, imprimé à Paris chez Saillant. En 1776, Théorie des jardins chez Pissot. En 1777, de la composition des paysages, ou des moyens d’embellir la nature autour des habitations, en joignant l’agréable à l’utile, par M. Gerardin, à Paris, chez Delaguette. En 1779, sur la formation des jardins par l’auteur des considérations sur le jardinage, Paris, chez Pissot. Enfin le Poème des jardins de l’abbé de Lille. Ces ouvrages sont-ils vraiement nécessaires ? Je ne le crois pas. Dufresny & Kent ne connurent que leur génie, & se frayèrent une route qu’on soupçonnoit peut-être, mais inconnue avant eux. Mon but n’est certainement pas de dépriser les ouvrages que je viens de citer, & j’en ai parlé exprès, afin que ceux qui désireront travailler en grand, les lisent, les méditent, & sur-tout évitent, en appliquant les préceptes à la nature, quelques défauts qu’on a reprochés aux premiers inventeurs. Presque tous les jardins, nouvellement plantés dans les environs de Paris, ne doivent pas être pris pour des modèles en ce genre ; ces jolis colifichets sont plutôt la caricature d’un grand jardin. Je dirai aux amateurs : allez à Ermenon-