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uns le croient plus nécessaire dans les temps de sécheresse, d’autres dans des temps d’humidité. Ces derniers prétendent que lorsque le mouron commence à prendre les herbes du printemps, on ne peut assez lui en servir : quelques autres, effrayés par la dépense, n’en donnent qu’une fois par mois, ou en hiver seulement ; d’autres enfin, par les mêmes motifs ou par d’autres raisons, n’en donnent point du tout ; aussi, voit-on beaucoup de moutons périr, sur-tout pendant l’hiver, & on en attribue la perte à tout autre cause qu’à la privation du sel.

Parmi les cultivateurs qui ne font point usage de cet aliment pour leurs moutons, les uns, comme nous l’avons déjà dit, s’en abstiennent par économie, tandis que les autres le regardent au moins comme inutile. Les uns & les autres n’ont pas sans doute consulté l’expérience ; c’étoit-là cependant ce qui devoit les guider.

Il est prouvé que les moutons qui paissent sur les côtes de la mer, sont en général plus robustes que les autres, à éducation égale, & moins sujets aux maladies qui affectent trop souvent ceux de l’intérieur du royaume. C’est sans doute d’après cette réflexion que les cultivateurs intelligens, qui ne sont pas à portée de la mer, se sont déterminés à en donner à leurs troupeaux. Il est encore prouvé que les moutons qui paissent dans des pâturages salés, ou auxquels on donne du sel, ont la chair plus ferme & de meilleur goût ; enfin, indépendamment de ce que nous sommes à portée de voir par nous-mêmes, on peut encore s’en rapporter à la conduite de nos voisins. Les Espagnols donnent du sel au gros & menu bétail ; les Anglois ne l’en privent jamais ; enfin, les Suisses sont si persuadés de la nécessité d’en donner, que les Cantons ont plusieurs fois délibéré qu’on devoit en augmenter la dose aux troupeaux.

Si l’usage du sel est indispensable, l’excès en doit être nuisible. La véritable dose, pour l’ordinaire, nous le répétons, est d’en donner une livre par vingt moutons ; l’animal le plus vorace & le plus fort, est celui qui en mange le plus. Lorsqu’il en prend trop, son sang s’échauffe, sa santé & la qualité de la laine s’altèrent, tandis que l’humidité qui règne dans l’animal auquel on règle l’usage de cet aliment, en lui conservant une bonne constitution, prête à la laine des ressorts & une finesse que l’humidité naturelle de l’animal lui refuseroit.

Quelques personnes prétendent qu’en abreuvant les troupeaux dans les marais salans, cette pratique peut suppléer au sel, en appaisant la soif ; mais elles se trompent, & exposent le bétail à plusieurs accidens. L’eau des marais salans est communément bourbeuse, & celle qui est renouvelée par les eaux de la mer, est encore chargée d’une trop grande quantité de parties limoneuses ; la partie saline dont elle est d’ailleurs composée, est trop âcre, pour qu’elle puisse produire le même effet que le sel. Pour s’en convaincre, on n’a qu’à jeter les yeux sur la manière dont se fait le sel, & l’on verra qu’avant de le faire cristalliser, il faut purger l’eau de ce qu’elle a de limoneux & de trop âcre, sans quoi le sel seroit nuisible : d’ailleurs, il y a