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pour les bestiaux. On rapporte tout le produit de la mouture qu’on étend dans un grenier, pour le laisser fermenter en tas pendant cinq ou six semaines. Ce tas de farine entière se nomme rame, sans doute parce qu’on le remue de temps à autre avec des rames ou balais, pour le faire fermenter également par-tout avec le son. On prétend que cette opération perfectionne la farine, & la dispose à se mieux séparer des sons. Quand la rame est refroidie, il faut la bluter à propos ; une seconde fermentation la feroit gâter, en détruisant la combinaison de principes, qui est le résultat de la première.

Pour tirer la farine de la rame, on la fait passer par un bluteau de trois qualités qui se suivent par degrés de finesse. On se sert aussi de plusieurs bluteries de différentes soies, plus ou moins grosses. La farine qui tombe la première, se nomme farine de minot, ou le fin la seconde se nomme le simple, & quand on la mêle avec la première, on l’appelle simple-fin, ou farine en cô ; enfin, la troisième & la plus grosse, qui comprend le germe & la plupart des gruaux, se nomme gresillon, sans doute à cause de sa ressemblance avec du gresil. On passe encore les sons dans un bluteau plus gros, pour en tirer une farine grossière qu’on nomme repasse, & qu’on mêle avec le gresillon pour faire le pain du pauvre : le simple sert à faire le pain bourgeois, & le fin s’envoie aux Isles en minot, ou sert à faire le pain des riches.

L’auteur de l’art de la meûnerie, inséré parmi ceux de l’Académie, donne la préférence à la mouture méridionale sur toutes les autres ; mais il n’étoit pas assez instruit sur les procédés de la mouture économique, pour pouvoir les comparer, quoiqu’il y ait d’excellentes choses dans son Ouvrage. Parmi une infinité de défauts qui se rencontrent dans la mouture méridionale, elle a 1°. le vice de multiplier la main-d’œuvre & d’occasionner la perte du temps ; 2°. de trop échauffer la farine, par un moulage trop fort & trop serré, quand on veut broyer en une seule fois toutes les parties du grain ; 3°. la farine trop échauffée fermente, ce qui, au lieu de la bonifier, comme on le croit, peut en altérer la qualité plus ou moins : d’ailleurs, si l’on manque l’instant de cette première fermentation, on court risque de voir corrompre tout le tas de rame ou de farine entière ; 4°. la farine qui a éprouvé un commencement de fermentation, à cause du son qu’on y laisse pendant six semaines, ne se conserve pas si bien que celle qui a été purgée du son sans fermentation ; 5°. on sacrifie, par le défaut de remoulage, des gresillons & repasses, & même du son qui est mal écuré, une quantité considérable de bonne farine qui pourroit être employée avec avantage : le fin qu’on retire par cette méthode est en très-petite quantité.

Enfin, la mouture méridionale ne diffère de la mouture en grosse, que par la fermentation qu’on lui fait éprouver à l’aide d’un air chaud & d’une mouture serrée. Cette fermentation n’a pas paru si nécessaire dans les pays septentrionaux, où le bled est moins sec & le climat plus humide : elle seroit inutile d’ailleurs dans la mouture économique, où l’on a trouvé le secret de moudre à plusieurs