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que M. Cooper voudroit qu’on bannît entièrement le terme de monstre, parce qu’il répugne à notre sensibilité, qu’il emporte toujours avec lui une idée triste, douloureuse & désagréable. Il conviendroit bien mieux d’y substituer celui de jeu de la nature. Dans le règne végétal au contraire, la naissance d’un monstre ou d’une partie monstrueuse, ce qui est bien plus commun, entraîne très-rarement le dépérissement de la mère ou de la plante totale ; une feuille monstrueuse n’altère pas la tige qui la porte ; un calice informe ne vicie pas les parties nobles qu’il renferme, & si la fleur surchargée d’embonpoint & d’une sève surabondante, voit flétrir les organes de la génération, ce malheur semble bientôt réparé par la multiplication des pétales, & la vivacité de leurs couleurs. L’homme même, ce roi de la nature, pour qui elle paroît sans cesse travailler, ignore souvent, ou oublie bientôt que cette fleur double qu’il admire, qu’il préfère, n’est qu’un monstre, pour ne penser qu’à ses beautés. Il faut encore beaucoup de connoissances en botanique pour observer & distinguer toutes les monstruosités végétales, & jamais ou presque jamais elles ne sont désagréables à la vue, & révoltantes comme les monstruosités animales. Cela ne viendroit-il pas aussi de ce que le règne animal nous touche infiniment de plus près ; que dans le fœtus humain monstrueux, l’homme voit la perte de son semblable, & dans le fœtus d’un animal monstrueux, la perte d’un être utile & nécessaire. Ainsi la narure & l’intérêt, sont les premiers mobiles de sa sensibilité, tandis que dans le règne végétal, il y trouve une nouvelle jouissance. Pour l’homme qui raisonne ses jouissances, il est donc de son intérêt de connoître plus particulièrement les monstruosités végétales, leur cause, ce qui les constitue telles, & les différencie des simples accidents, & les différens systèmes que l’on a imaginés pour les expliquer, & pourquoi elles sont plus abondantes dans certaines espèces, dans certains cantons & dans certaines années, comme M. Gleditsch l’a observé dans les territoires de Francfort, de Furstemwald, de Cüstrin, Lebus &c., pour les années 1740, 1741, 1743, où il vit naître beaucoup plus de plantes fasciées, feuillues, prolifères, & à fleurs doubles que dans les autres années »

Section II.

Des monstres végétaux.

Il est nécessaire de bien saisir l’idée que renferme le mot de monstre, & de bien distinguer les parties qui sont réellement monstrueuses, de celles qui ne sont que viciées. Plusieurs auteurs en décrivant des monstruosités végétales, ont confondu trop souvent ce qui n’étoit qu’un accident, & pour ne pas tomber dans cette faute, il est nécessaire de spécifier exactement ce que nous entendons par monstre. Nous nommons monstre en général, avec l’immortel M. Bonnet, toute production organisée, dans laquelle la conformation, l’arrangement ou le nombre de quelques-unes des parties ne suivent pas les règles ordinaires ; nous ajoutons à cette définition générale, que dans le règne végétal, ces vices de conformation doivent être dûs à l’acte seul & unique de la végétation,