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alors l’impossibilité du partage du miel dans l’estomac de l’abeille, par un canal qui ne pouvoit être, s’il eut existé, que d’une petitesse infinie.

La trompe est l’instrument dont l’abeille se sert pour recueillir la liqueur mielleuse épanchée dans le calice des fleurs ou sur leurs feuilles : l’usage qu’elle en fait avec une adresse & une activité merveilleuses, lorsqu’elle est à portée de cette liqueur, ne permet pas d’en douter. Placée sur une fleur, elle alonge le bout de sa trompe contre les pétales, & tout près de leur origine, & lui fait faire successivement une infinité de mouvemens différens ; elle l’alonge, le raccourcit, le contourne, le courbe, pour l’appliquer sur toutes les parties concaves & convexes des pétales de la fleur, & tous ses mouvemens sont extrêmement précipités & très-variés. Comment agit cette trompe, pour attirer la liqueur mielleuse, & de quelle manière passe-t-elle dans l’estomac de l’abeille ? Il n’est point possible d’observer tout cela, lorsqu’on ne suit l’abeille que sur une fleur : enfoncée bientôt dans l’intérieur de son calice, elle se dérobe à nos observations. Ce n’est que dans un tube de verre, dont on a enduit légèrement les parois intérieurs d’un peu de miel, qu’on peur juger à quoi tendent tous les mouvemens de la trompe de l’abeille qu’on y a introduite : c’est le parti que prit M. de Réaumur, pour s’assurer quel étoit le résultat des mouvemens & des différentes inflexions de la trompe, qu’il soupçonnoit déjà, sans oser encore l’affirmer. L’abeille introduite dans un tube de verre, nous laisse voix clairement le mécanisme de sa trompe, lorsqu’elle enlève le miel ; & alors on s’aperçoit qu’elle ne l’attire point par succion, puisqu’elle ne pose point l’extrémité de sa trompe sur la goutte de miel qui est dans le tube, comme elle devroit le faire, si elle avoit un trou par lequel elle dût être aspirée pour être conduite dans l’estomac. En s’allongeant, le bout de la trompe se trouve toujours au-delà de l’extrémité des étuis, qui ne cessent de la couvrir dans le reste de son étendue ; la partie qui est à découvert se courbe afin que la surface supérieure s’applique sur la liqueur ; & cette partie fait alors exactement la même chose que la langue d’un chien qui lappe une boisson. Par des inflexions réitérées avec une vitesse & une promptitude étonnante, elle frotte & lèche la liqueur à diverses reprises, de sorte que le bout de la trompe, où l’on a prétendu qu’étoit l’ouverture qui recevoit la liqueur, se trouve toujours au-delà de la liqueur même où puise l’abeille. Cette partie antérieure de la trompe, qu’on pourroit appeller la langue extérieure & velue, pour la distinguer de l’autre qui est dans la bouche, par ses différens mouvemens, se charge de la liqueur & la conduit à la bouche, en se raccourcissant, de telle sorte qu’elle est quelquefois absolument recouverte par les étuis. Cette liqueur arrive à une espèce de conduit qui se trouve entre le dessus de la trompe & les étuis qui la couvrent ; d’où elle passe dans La bouche : aussi voit-on, à l’endroit où est le canal qui répond à la bouche, la trompe se gonfler, se contracter, & faciliter par ces gonflemens & ces contractions, le passage de la liqueur à la bouche.