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& plus de dureté que les bois mêmes du nord[1]. Mais il craignit d’abord, que ce grand poids ne rendît les vaisseaux sujets à chavirer, ou au moins ne les tourmentât. Il a été rassuré sur cette crainte, par les instructions qui lui furent ensuite envoyées de France, portant, que puisque le bois étoit plus dur, on pourroit faire des mâts moins gros, & aussi forts, ce qui ne feroit que la même pesanteur absolue… On voit à Chamonix des mélèses qui ont jusqu’à seize pieds & demi de circonférence par le bas ; mais pour en faire usage dans la marine, il faut auparavant en enlever l’écorce, qui est très-épaisse, ainsi que l’aubier, ou faux bois (Voyez ce mot), ce qui diminue de beaucoup le diamètre de l’arbre. Ne pourroit-on pas, un an ou deux avant d’abattre un de ces beaux arbres, suivre l’opération décrite au mot Aubier ; la totalité de l’arbre seroit plus dure, & on auroit moins à perdre sur sa circonférence. J’invite ceux qui sont sur les lieux à faire cette expérience.

D’après ce qui vient d’être dit, il me paroît démontré que la multiplication de cet arbre intéresse singulièrement l’administration. Mais, comment penser aujourd’hui à un bénéfice réel qu’on ne retirera que dans cent-cinquante ans ? L’exemple donné par l’immortel Sully, qui fit planter en ormeaux les bords des grandes routes du royaume, afin d’avoir les bois nécessaires à l’artillerie, n’est pas oublié : on voit encore aujourd’hui quelques-uns de ces arbres respectables à la porte des églises de campagne, qui ont bravé les injures du temps, & qui attestent la sage prévoyance de ce ministre : on les appelle les Rosny & dans la suite on donneroit aux mélèses le nom du ministre qui en auroit encouragé la culture. Je ne doute pas un instant que cet arbre ne réussît très-bien sur les Pyrennées, sur les hautes montagnes du Languedoc, de la Provence, de la Franche-Comté, de la Bourgogne, du Forêt, de l’Auvergne, du Limosin, du Périgord, &c. Une fois acclimatés sur ces hauteurs, ils gagneroient insensiblement les régions propres aux hêtres, aux châtaigniers, & de proche en proche, les vallées.

Les pays d’état sont ceux qui peuvent s’occuper le plus fructueusement de ces améliorations partielles. Je suis bien éloigné de penser que l’administration générale ne veuille ou ne puisse pas le faire ; mais il lui manque réellement des hommes entendus, & zélés pour ces objets de détails. Il se présentera cent personnes, pour une, qui demanderont à être chargées de l’entreprise, dans la vue d’y gagner gros ; & l’homme de mérite, qui ne sera, ni intriguant, ni solliciteur, ne sera pas celui à qui elle sera confiée, uniquement parce qu’il n’aura pas été connu. Ce n’est pas la faute de l’administration générale, lorsqu’une entreprise de cette nature coûte très-cher & manque, c’est toujours celle des employés. Voilà pourquoi je dis que les pays d’état, ou les administrations provinciales, doivent être chargées de ces détails. Chaque administrateur

  1. Le pied cube de celui du Valais pèse cinquante liv. poids de marc, ce qui excède d’un cinquième la pesanteur du bois pour mâture, envoyé de Riga.