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d’une châtaigneraie, & M. Veillon, à qui elle appartient, encouragé par le succès, a semé de la graine dans sa châtaigneraie, & elle y réussit à tel point que, dans quelques années, il faudra détruire les châtaigniers pour conserver les mélèses. Lorsqu’on abat les forêts d’épicia & de mélèse, il ne recroît d’abord que des épicia, & quand on fait ensuite une coupe de cet arbre, il croît des mélèses. Le mélèse reste longtemps à pousser ; ce n’est que lorsque ses racines se sont fortifiées en terre, lorsqu’on lui donne de l’air, que, semblable au chêne, il s’empare de tout le terrein, & détruit tous les arbres qui l’avoisinent.

Il faut convenir cependant que les mélèses des pays bas sont moins hauts, moins élancés que ceux des hautes montagnes ; mais en revanche la qualité de leur bois est non-seulement égale, mais encore supérieure.

Dans la vallée de Chamonix, qui est à la vérité un pays beaucoup plus élévé que le dernier, on voit des bois entièrement de mélèse ; cela est conforme à la règle générale : mais dans la vallée, même au pied de la source de l’Alveron, on traverse un bois de mélèse & d’épicia, & ceci est encore une exception à la prétendue règle générale, suivant laquelle la région des mélèses devroit être au-dessus de celle des sapins. Dans le Chamonix comme dans le Valais, les graines des mélèses des montagnes sont portées dans les vallées, & y produisent des arbres. Enfin sur les bords de l’Arve on trouve cet arbre mêlé avec les aulnes & autres bois forestiers, preuve incontestable que le terrein sec & fort élevé n’est pas essentiel à la végétation du mélèse.

Pour qu’un arbre se rende maître d’un pays, & qu’il y fasse une forêt, il ne suffit pas que le terrein & le climat lui soient favorables, il faut qu’ils ne conviennent pas à d’autres arbres ou à d’autres plantes qui excluent celui-ci ; c’est ce que l’on voit chaque jour dans une bruyère ou une lande que l’on défriche, le chêne y vient bien après le défrichement ; par le moyen de la culture, ce terrein convient au chêne, puisqu’il y réussit, mais il convenoit encore mieux à la bruyère, &c. : voilà pourquoi il a fallu la détruire, & l’empêcher de recroître pour que le chêne put y prospérer.

Dans l’état de pure nature, toute la Suisse, la Savoye, le Briançonnois étoient une forêt ; au-dessus de la région des sapins étoit celle des hêtres, des châtaigniers, des chênes, enfin des broussailles, & dans les vallées étoit celle des arbres aquatiques, des roseaux, &c. : il n’est donc pas surprenant que dans ces fourrés le mélèse ne pût pas se faire jour, & c’est la raison pour laquelle il est resté depuis tant & tant de siècles au haut des montagnes, où il n’a pas trouvé les mêmes antagonistes que dans les parties inférieures. Ce n’est donc que depuis que la Suisse est défrichée, que les graines emportées par les vents, &c., sont tombées dans on terrein où elles ont eu assez d’air & assez d’espace pour prospérer ; mais il faut peut-être bien des siècles pour qu’un arbre se naturalise de lui-même dans un nouveau pays… au surplus, ceux qui ony défriché les basses montagnes & les vallées, se sont toujours opposés jusqu’à présent à la croissance du mélèse. Les vignerons du Valais les ont sûrement arrachés avec les mauvaises