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les effets les plus fâcheux, c’est de ne jamais fermer dans le fénil la luzerne qui n’est pas bien sèche. Elle fomente, s’échauffe, prend feu, & bientôt l’incendie devient général. La luzerne qui a fermenté, qui est échauffée, devient une très-mauvaise nourriture. Elle perd sa couleur verte ou paille, suivant les circonstances qui ont suivi sa dessication ; elle prend alors une couleur plus ou moins brune, proportionnée au degré d’altération qu’elle a éprouvé. Lorsque l’altération est parvenue à un certain point, il est prudent, si on ne veut pas perdre son bétail, de ne l’employer que pour la litière.

Je n’entre ici dans aucun détail sur les moyens d’accélérer sa dessication sur le champ, de conserver sa couleur. Lisez l’article Foin où ces moyens sont décrits.

Il faut observer que la première coupe est la moins bonne de toutes, parce que la luzerne est mêlée avec beaucoup d’autres plantes qui ont végété avec elle. La seconde coupe est la meilleure ; la troisième est ordinairement encore très-bonne ; les sucs de la plante, dans la quatrième, sont appauvris, & la luzerne elle-même se ressent de ses végétations précédentes.


§. VI. Des moyens de rajeunir une luzernière.


Le temps & les insectes sont les destructeurs de la luzerne. Avec de petites attentions, on prévient, ou on arrête les dégâts cuises par les animaux ; mais tout cède & doit céder à la loi impérieuse du temps. Il ne reste donc aucune ressource contre la dégradation causée par la vétusté ; mais on peut retarder cette époque par différens engrais.

Le premier, qui seroit le plus prompt, le plus commode, & nullement dispendieux, seroit de faire parquer les moutons sur la luzernière aussitôt après que la dernière coupe est levée, & même pendant une partie de l’hiver.

Cette assertion paroîtra ridicule à un très-grand nombre de lecteurs, puisqu’aux époques indiquées, ils ont grand soin de renfermer les troupeaux dans des bergeries rigoureusement fermées & calfeutrées ; afin d’interdire toute communication entre l’air extérieur, & l’air étouffé, & presque méphitique du dedans. Consultez les mots Bergerie, Laine. Il se prépare une heureuse révolution en France, & nous la devons au zèle & aux lumières de M. d’Aubenton, qui a démontré, par une expérience de quatorze années, dans l’endroit le plus froid de la Bourgogne, que les troupeaux y peuvent passer toute l’année en plein air, même pendant les pluies, la neige & les froids. Les bergers, instruits à son école, & qui retourneront dans leurs provinces, prouveront le fait par leur exemple, & cet exemple prouvera plus démonstrativement que le livre le mieux écrit & le mieux raisonné. Aux expériences de M. d’Aubenton, on peut ajouter celles de M. Quatremere-Disjonval, sur des troupeaux nombreux, tirés de la Sologne, accoutumés à être renfermés, & qui tout-à-coup ont passé, en plein air, les hivers de 1784 & 1785. Il ne peut donc plus exister aucun doute sur la possibilité du paccage habituel. Peu-à-peu la vérité percera, & l’intérêt particulier des propriétaires