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demandai la raison : la luzerne, me dirent-ils, en fait plus que vous, laissez-la faire, elle tuera les mauvaises herbes sans votre secours. Pour cette fois ils eurent raison : la partie du champ qui n’avoit pas été sarclée, fut, l’année suivante, aussi belle que celle qui l’avoit été. Depuis ce temps-là je n’ai pas eu la fantaisie de sacrifier de l’argent en pure perte.

On ne manquera pas d’objecter que les luzernes périssent à la longue, parce que les mauvaises herbes ou les plantes graminées les gagnent ; je reponds que ces plantes graminées, &c. &c. ne végètent que dans les places où les pieds sont déjà morts, & que tant que les pieds conservent de la vigueur, ils se défendent contre les mauvaises herbes, sur-tout s’ils sont encore assez rapprochés les uns des autres. Un seul coup d’œil jeté sur une luzernerie dans ses différens états, prouvera plus que tout ce que je pourrois dire.

Le grand destructeur & le plus terrible pour la luzerne, avant que l’âge la dégrade, c’est le ver du hanneton (Voyez ce mot & planche XXVII, page 678 du Tome VI, lettre D, fig. 6) ainsi que celui de l’insecte nommé moine ou rhinocéros ; c’est le Scarabaus Rhinocéros. Lin. J’avois chargé le graveur de le représenter dans la même planche que celle du hanneton, & il l’a oublié. Il est aisé de reconnoître ce scarabé, plus gros que le hanneton, à une corne unique qu’il porte sur la tête, & qui l’a fait nommer Rhinoceros ; son corselet n’est pas moins singulier & irrégulier ; il s’élève sur le derrière, & forme une éminence transverse, à trois angles, & qui ressemble à une espèce de capuchon, d’où on lui a donné le nom de moine; cette éminence est bien moins considérable dans la femelle, qui n’a point non plus de corne sur la tête. Tout le corps de l’animal est d’un brun châtain, ses étuis sont lisses, & son ventre est un peu velu ; on le trouve en grande quantité dans les couches, dans les jardins potagers & dans les bois pourris ; sa larve ressemble entièrement à celle du hanneton. Telle est la description que M. Geoffroi donne de cet insecte.

J’ignore si sa larve ou ver demeure aussi longtemps en terre, avant de passer à l’état de chrysalide, que celle du hanneton ; je le croirois cependant, parce que j’en ai trouvé, à la même époque, de grosseur très-disparate, pour parvenir dans la même année au même volume ; je trouve que sa larve diffère de celle du hanneton, non par la forme, mais un peu par la couleur. Celle du rhinocéros est d’un gris bien plus foncé, & les petits points placés sur les côtés des anneaux, d’une couleur assez noire. Quoi qu’il en soit de ces différences, peut-être accidentelles, il n’est pas moins vrai que les larves de ces deux insectes parviennent en peu d’années à détruire une luzernière, sur-tout si elles sont multipliées.

J’ai suivi de près la marche de ces vers destructeurs, & j’ai toujours observé que le hanneton, dans son état d’insecte parfait, choisissoit, lorsqu’il vouloit s’enterrer pour déposer ses œufs, l’endroit qui étoit recouvert par l’excrément des bœufs, ou des chevaux, ou des mules, dont on s’étoit servi pour enlever la luzerne du champ. Ces excrémens en masse empêchent l’évaporation de