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& avoir un goût doux & sucré ; il ne doit être ni trop aqueux, ni trop épais, il doit avoir une certaine consistance, ou, pour mieux dire, une certaine crasse. Pour qu’il ait toutes ces qualités, on doit se procurer une bonne nourrice. (Voyez ce mot)

Le lait des animaux peut remplacer celui des femmes dans presque toutes les circonstances, & sur-tout pour la nourriture des enfans. Mais la manière d’élever les enfans en France, & de les nourrir de lait de femme, est si générale, qu’elle forme dans les esprits un préjugé qui les porte à se révolter contre la proposition de s’en passer, & de leur faire user du lait de vache ou de chèvre.

L’exemple de tous les pays du nord, où les enfans sont nourris avec du lait de vaches, quelques exemples particuliers qu’on a eu en France de cette nourriture, doivent rassurer sur une méthode qui effraie d’abord, & qui, bien combinée par les exemples & les avantages qui en résultent, sera adoptée par les personnes capables de réflexion.

En Russie & en Moscovie tous les enfans sont nourris avec du lait de vache, tant ceux des princes que ceux du peuple. L’usage de nourrir les enfans avec le lait de femme, y est pour ainsi dire inconnu ; les hommes y sont forts & robustes ; ils y vivent long-temps, & soutiennent très-bien les fatigues du travail & celles de la guerre.

Personne n’ignore le fameux exemple d’une chèvre, dont l’instinct la conduisoit tous les jours à différentes heures au berceau d’un enfant pour l’allaiter, & l’enfant suçoit avec avidité le lait que cet animal lui fournissoit. La nature, en donnant du lait aux femelles des animaux, ne l’a pas réservé seulement pour leurs petits, elle a voulu encore donner aux hommes un secours dans les besoins les plus urgens.

Pourquoi n’en profiteroit-on pas ? Il faut cependant convenir que le lait de la mère doit être la nourriture la plus analogue au tempérament & à la foiblesse de l’enfant.

En convenant de ces principes, on doit avouer aussi qu’ils ne sont pas suivis en France. On y élève, il est vrai, les enfans avec du lait de femme ; mais ce sont des femmes étrangères, des nourrices mercenaires, dont le tempérament ne se rapporte aucunement à celui de l’enfant.

On devroit adopter ce système : il tariroit une source inépuisable d’inconvéniens auxquels les enfans sont exposés. Nourris d’un lait pur en lui-même, ils deviendroient forts & robustes ; ils ne participeroient ni aux vices du tempérament, ni à ceux du caractère qu’ils sucent avec le lait des nourrices. Les maladies du corps, les passions de l’ame, tout passe dans le sang ; & le lait qui en est la partie la plus essentielle, est reçu par l’enfant, qui reçoit en même temps le germe des infirmités & des passions de sa nourrice.

Parmi les gens du peuple & ceux de la campagne, dont l’intérêt est la mesure & la règle de leur conduite, la même nourrice allaite souvent plusieurs enfans : elle commence par le sien ; mais bientôt entraînée par