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les rosées, les pluies, la propreté & la lumière du soleil blanchissent, assouplissent les laines, & leur donnent une qualité supérieure en finesse & en moelleux. Une longue dissertation, quoique très-bien raisonnée, glisseroit sur leur esprit ; proposons leur donc des exemples, & répondons à leurs objections.

Personne ne conteste la qualité supérieure des laines d’Espagne, d’Angleterre, de Hollande & de Suède : voilà à peu près les extrêmes pour les climats ; pourquoi n’aurions-nous donc pas en France, pays tempéré, ce que l’art & les soins ont créé & multiplié avec le plus grand succès au nord & au midi de l’Europe ? c’est donc vouloir s’aveugler sur ses propres intérêts, que de refuser d’imiter des exemples couronnés par les succès les plus décidés. En Angleterre les troupeaux parquent pendant toutes les saisons de l’année, quelque temps qu’il fasse ; on y est même obligé d’aller les chercher au milieu de la neige, & de leur porter à manger, ou dans ces cas de les retirer sous des hangars. Combien de fois n’a-t-on pas lu dans les papiers publics les plus authentiques, que les neiges abondantes, subites & imprévues, avoient enseveli des troupeaux entiers pendant un mois & jusqu’à six semaines on a toujours remarqué qu’ils ont peu ou point souffert ; leur chaleur naturelle la fond graduellement, & ils sont toujours sur la terre, où ils trouvent quelques plantes qui aident à les soutenir. Mais pourquoi emprunter des exemples chez les étrangers, tandis que nous en avons de si convaincans en France ! M. le maréchal de Saxe fit jeter dans le parc de Chambort un certain nombre de béliers & de brebis de Sologne ; ils furent livrés à eux-mêmes, ils s’y multiplièrent, leur laine acquit une supériorité très-décidée. La bergerie de M. Daubenton, située dans un pays naturellement froid, n’est qu’une vaste cour ou enclos, fermé par des murailles, où les troupeaux passent tout le temps qu’ils ne peuvent parquer dans les champs ; cependant ils sont composés de races Espagnoles, Angloises, du Tibet, de toutes espèces des différentes provinces du royaume. Que répondre à des points de fait de cette évidence, dont chacun peut se convaincre par ses propres yeux ; il faut nier l’évidence, si on s’y refuse. Souvent les mères mettent bas au milieu de la neige & des glaçons, & leurs agneaux sont par la suite les plus vigoureux du troupeau. Venez & voyez, vous dira M. Daubenton, je n’ai pas de meilleure preuve à vous donner.

Ce seroit le comble de l’erreur de penser qu’on doive tout-à-coup renverser les bergeries, & faire parquer les troupeaux pendant toute l’année ; la chose conçue ainsi est impossible, on seroit presqu’assuré d’en perdre la majeure partie. En effet, comment concevoir qu’une brebis, qu’un mouton, tout en sueur, & accoutumé dans une bergerie à respirer un air dont la chaleur est presque toujours, & même en hiver, de vingt à trente degrés, puissent tout à-coup supporter de six à dix degrés de froid. Il faut donc les y accoutumer insensiblement, & s’y prendre de bonne heure. Pendant toute la belle saison les laisser coucher à l’air ; à l’époque des neiges & des gelées, se contenter de les tenir sous des hangars bien aérés, & dès que le froid se radoucit,