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Nous avons fait voir jusqu’à quel point la position de la France permettoit les voyages des troupeaux ; examinons comment il est possible de les effectuer de gré à gré, sans que le gouvernement s’en mêle ; car sa sollicitude réveilleroit peut-être encore les anciens soupçons, les anciennes allarmes du temps passé. Supposons qu’un propriétaire du pays bas ait un troupeau de cent brebis ; supposons un pareil troupeau chez le propriétaire habitant les pays élevés : ils seront d’un grand secours l’un à l’autre s’ils veulent s’entendre & former entr’eux une société, dont la base sera que l’un nourrira les deux cent brebis pendant l’hiver, & l’autre pendant l’été ; enfin que ces troupeaux n’entreront jamais dans les bergeries. Cette association est simple à établir, il ne s’agit plus que d’avoir de bons bergers. Les deux propriétaires y trouveront d’abord le même avantage quant au fumier, puisqu’ils feront parquer, & que le parcage de deux cent moutons pendant six mois, équivaut à celui de cent pendant une année. Un second avantage pour tous les deux, est d’avoir l’engrais tout transporté sur les lieux, aulieu qu’il auroit fallu le charier de la bergerie aux champs, opération très-longue, qui occupe beaucoup d’hommes & d’animaux. Les champs les plus éloignés de la métairie sont par-tout & toujours les plus mal fumés, ou, pour mieux dire, ne le sont jamais, soit à cause de la difficulté, soit par l’éloignement des charrois, tandis que les claies qui forment le parc sont transportées sans peine sur les lieux. Le parcage offre encore la manière de répandre plus uniformément l’engrais, & dans la saison la plus convenable, chacun suivant son climat. La construction & les frais d’entretien d’une bergerie doivent être comptés pour quelque chose ; leur suppression est donc bénéfice réel pour le propriétaire, & les bergeries existantes deviennent un débarras & un objet d’aisance de plus dans sa métairie. (Voyez le mot Parc.) Il est donc possible & très-possible de former des associations, & elles sont en général plus faciles que la location des pâturages sur les endroits élevés, quoiqu’elles soient connues & pratiquées dans quelques unes de nos provinces, telles que la Provence, le Roussillon, le Comté de Foix, le Béarn, la Navarre, &c.

On doit, autant qu’il est possible, éviter les transitions trop subites lorsque l’on fait venir des béliers & des brebis de l’étranger, soit en raison du climat, soit en raison du pâturage ; il est constant que les bêtes à laines Angloises, Hollandoises, &c. réussiront mieux dans les provinces du nord du royaume que dans celles du midi ; de même les béliers & les brebis espagnoles & africaines prospéreront beaucoup plus dans celles du midi que dans celles du nord, à cause de l’espèce d’analogie des climats & des pâturages, sur-tout si on ne ferme pas les animaux dans les bergeries lorsqu’ils sont accoutumés au grand air ; tels sont ceux d’Angleterre, d’Espagne, &c.

Comment sera-t-il possible de déraciner un préjugé peut-être aussi ancien que la monarchie ; comment faire comprendre aux propriétaires & aux bergers que les bergeries sont la ruine de leurs troupeaux, qu’ils se portent infiniment mieux à l’air libre pendant toute l’année, enfin que ce grand air,