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ainsi nuls préjugés à vaincre sur ce point. Les troupeaux y passent l’hiver dans le pays plat & voisin de la mer ; & à mesure que les chaleurs approchent, ils montent dans le Niolo & le Nébio, pays de montagnes assez élevées pour être couvertes de neige pendant neuf à dix mois de l’année. Comme les Arts sont encore dans l’enfance dans cette île, dont les deux tiers au moins sont incultes, les Corses préfèrent les brebis & les béliers à laine noire, brune ou rousse, aux bêtes à laine blanche, parce qu’elles sont naturellement teintes pour la fabrication de leurs étoffes grossières. Jamais les unes ni les autres n’entrent dans les habitations, pas même pour la tonte ; il n’y a donc rien à changer de ce côté-là ; mais la laine y est courte, grossière, jarreuse & très-maltraitée, parce que l’on conduit les troupeaux dans les maquis ou bois taillis très-fourrés, qui déchirent les poils sur le dos de l’animal. Cette île, presque en tout semblable à l’Espagne, relativement à ses deux climats, & par conséquent à ses pâturages, demande que l’espèce de ses béliers & de ses brebis soit entièrement changée ou peu à peu perfectionnée, attendu qu’ils sont d’une stature bien au dessous de la médiocre. Il faudroit encore défendre aux bergers de les conduire dans les maquis, de traire les brebis, dont le lait converti en fromage, fait leur unique nourriture & la principale des propriétaires des troupeaux. Il vaudroit mieux, à l’exemple des Espagnols, donner quelques chèvres aux bergers, & les obliger à laisser tetter les agneaux autant de temps que leurs mères auroient du lait. La dégénérescence ou la petitesse de chaque espèce d’animaux, dépend-elle dans ce pays du climat ou du peu de soin qu’on leur donne ? La grosseur & la grandeur des renards, des cerfs, des biches, des sangliers, sont de moitié moindre que celle des mêmes animaux en France. Il en est ainsi de la race des chevaux qui y vivent dans un état sauvage. Les bœufs seuls & les vaches ont conservé à-peu-près le volume ordinaire des petites races. Mais quand il seroit démontré que le climat nécessite la petitesse des béliers & des brebis, il n’en est pas moins vrai qu’en croisant les races du pays avec des béliers espagnols ou africains, on remonteroit insensiblement la race, & on auroit des laines très fines ; mais il faudroit complètement immoler toute brebis à laine brune, ou noire, ou tigrée. Il y a grande apparence que la race actuelle est la même, & s’est perpétuée sans mélange depuis le temps des Romains. Revenons aux provinces du Continent.

L’exemple & les tentatives qui ont été faites par le passé, sont une leçon bien instructive pour l’avenir. Les races étrangères, transportées à grands frais en France, y sont dégénérées ou péries, non à cause du changement subit du climat, mais par le régime insensé auquel on les a soumises. Ces animaux, accoutumés & vivant perpétuellement au grand air, ont été entassés dans des bergeries presqu’entièrement fermées, où du moins la lumière du jour ne pénètre que par un petit nombre de larmiers, qu’on a encore grand soin de fermer pendant l’hiver, comme si la nature n’avoit pas donné à l’animal une fourrure capable de ga-