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ou de quelque ruisseau, les officiers du lieu sont spécialement chargés de procurer des pâturages à un prix très modique.

De tous les privilèges accordés, soit par le roi Sisnando en 633, soit par les rois ses successeurs, le plus remarquable, sans contredit, est celui que le roi Alphonse XI donna à Villa-Real, le 17 janvier 1335 ou 1347, par lequel il prit sous sa protection spéciale les troupeaux du royaume sous le titre de troupeau royal. Le roi s’exprime ainsi en s’adressant aux tribunaux supérieurs : « Sachez qu’à cause des grands maux, torts, brigandages & violences auxquels les bergers de notre royaume sont exposés de la part des hommes riches & puissants, nous trouverons bon de prendre sous notre protection, garde & puissance, tous les troupeaux, tant les vaches que les juments, les poulins, mâles & femelles, les porcs & les truyes, les béliers & les brebis, les chèvres & les boucs, afin qu’ils soient notre troupeau, & qu’il n’y ait point d’autres troupeaux dans notre royaume. » Les brebis obtinrent bientôt la préférence sur tout autre bétail ; elles sont aujourd’hui la véritable & première richesse de l’Espagne.

Cette nation a, pour ainsi dire, négligé presque toutes les branches de l’économie ; cependant on doit lui rendre justice, & convenir que dans tout ce qui a des rapports à cette partie, elle sert de modèle aux autres nations.[1]

Les soins que l’on prend en Espagne de ces brebis à laine fine, consistent 1°. À les conduire en été dans les pays montagneux & froids, relativement au reste de l’Espagne, & en hiver dans les plaines, de sorte qu’ils sont presque toujours exposés à la même température.

2°. Les troupeaux n’entrent qu’une fois l’année dans des endroits couverts, & c’est au temps de la tonte, dans le mois de mai. Quand imitera-t-on cet exemple en France !

3°. Les bergers rassemblent chaque soir le troupeau, au moment que la rosée commence à tomber, &, à l’aide des chiens, ils réunissent les brebis

  1. Note de l’Éditeur. En n’envisageant que le bien-être & la prospérité des troupeaux, les loix espagnoles sont admirables ; mais ne peut on pas dire que des loix qui attaquent & gênent les propriétés des particuliers, qui mettent le prix des pâturages dans les mains des bergers, &c., sont des loix destructives de l’agriculture, qui, ainsi que les arts, ne demandent que liberté & protection. L’état de langueur de l’agriculture en Espagne n’est-il pas plutôt dû à ces loix décourageantes pour le cultivateur, qu’à l’expulsion des Maures, ou à l’expatriation qui eut lieu lors de la découverte de l’Amérique. Pourquoi ce peuple s’expatrioit-il en si grand nombre ? c’est qu’il étoit malheureux dans son pays, & vexé par les loix. L’Espagne a un beau problème a résoudre : lui est-il plus avantageux de réduire le nombre prodigieux de ses troupeaux, & d’encourager toutes les branches de l’agriculture, ou de laisser les choses sur le pied où elles sont aujourd’hui ? En France, par exemple, les troupeaux y sont moins nombreux, la laine moins belle ; excepté dans quelques-unes de nos provinces, ils voyagent peu d’un canton dans un autre ; mais presque tout y est cultivé, &, à coup sûr, le produit des récoltes en tout genre excède infiniment celui que l’on retireroit en admettant la méthode & la législation espagnole sur les troupeaux. On doit dire cependant qu’il est possible d’améliorer nos laines, comme on le verra ci-après.