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tionner cette branche de commerce.

Cette liberté & cette protection ont été accordées en Hollande, & cependant certains draps d’Angleterre l’emportent en beauté sur ceux de Hollande, de France, de Venise, &c. il faut en chercher la raison dans la production des matières premières, fournies par le pays même.

Le premier trafic de laine dont l’histoire fait mention, fut en 712 & 727, sous le roi Ina, à qui la nation doit de sages loix concernant la multiplication de la bonne race de brebis. Le roi Alfred, en 885, fit encore plus que ses prédécesseurs : enfin la vigilance du gouvernement anglois alla si loin, qu’en 961, le roi Edgard entreprit d’exterminer les loups dans toute l’étendue de son royaume ; les récompenses furent prodiguées, & dans l’espace de quatre années ce projet fut entièrement exécuté. Depuis cette époque, la race de brebis à laine fine s’accrut de telle sorte, que le roi Henri II défendit, en 1172, la fabrication des draps faits avec la laine d’Espagne mêlée avec celle d’Angleterre. Vers l’an 1357, les Anglois vendirent par an à l’étranger cent mille sacs de laine ; ils en exportèrent chaque année, sous le règne de Henri IV, cent trente mille sacs, & on suppute aujourd’hui en Angleterre la valeur de la laine brute à deux millions sterling, & à huit millions sterling celle qui a été manufacturée.

L’émulation devint si forte, que plusieurs habitans de la campagne négligèrent l’agriculture pour entretenir au-delà de vingt-quatre mille brebis ; mais Henri VIII défendit en 1534 à tout colon d’en entretenir plus deux mille. Ce règlement a souffert depuis quelques exceptions.

L’Angleterre, jalouse de conserver la race précieuse de ses brebis, ne permit pas l’exportation des béliers. Édouard III fut le premier qui défendit, en 1638, leur sortie du royaume, afin, dit-il, que la laine angloise ne baisse pas de prix, & que la laine étrangère ne soit pas améliorée au désavantage évident de la nation. Henri VI renouvelle la même défense en 1424, & la reine Elisabeth, par son édit de 1566, ajoute à la rigueur des édits précédens ; elle statue que quiconque exportera des béliers, sera puni pour la première fois de la perte de ses biens, mais qu’il sera puni de mort s’il retombe une seconde fois : ces loix rigoureuses existent encore aujourd’hui, mais la cupidité a souvent surmonté les obstacles.

Tout le monde convient que les laines d’Espagne surpassent en finesse celles d’Angleterre, & que leur prix est bien supérieur. Cette qualité est-elle dûe au climat, ou aux soins qu’on y prend des brebis ? Le climat y contribue sans doute ; mais celui d’Espagne ne lui est pas tellement particulier, qu’on ne puisse en trouver un semblable ; c’est donc plutôt à l’attention continuelle, & presque patriarcale, que les Espagnols ont eu de leurs troupeaux depuis des temps très-reculés, que l’on doit attribuer cette perfection.

De toutes les nations, il n’en est point qui ait plus encouragé le soin des troupeaux : les possesseurs des bergeries ont formé de tout temps en Espagne une société dont les députés s’assembloient dans des lieux indiqués, afin de disposer la marche,