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que son frère fut nommé par la Communauté maître d’école de son village ; Kliyoogg regarda cet événement comme un des plus heureux dont Dieu pût le favoriser. Il conçut dès ce moment l’espoir de pouvoir rendre désormais ses principes d’un usage plus étendu, & de procurer à ses concitoyens un bonheur pareil à celui que le bon ordre, qu’il avoit su introduire dans son administration domestique, lui faisoit éprouver. L’on ne sauroit croire, à ce qu’il dit, combien l’autorité influe sur le bien qu’on se propose, quand on sait l’employer à propos. Il suivit avec fermeté, par rapport à ses écoliers, les mêmes principes qui lui avoient si bien réussi chez lui, & pour mieux assurer l’observation des règles qu’il introduisoit dans son école, il résolut dès le commencement de se borner au très-modique salaire qui lui étoit assigné, & de ne pas accepter le moindre présent de qui que ce fût. C’est là précisément, dit-il, ce qui affoiblit le maintien des meilleurs réglemens : on offre aux supérieurs l’amorce flateuse des présens ; du moment qu’ils ont tendu les mains pour les recevoir, ces mains deviennent impuissantes pour arrêter les progrès du mal.

Son grand principe dans ses opérations, c’est d’aller toujours à son but par la voie la plus courte, & sa sagacité naturelle la lui fait saisir aisément ; de-là vient que l’ordre le plus exact règne dans toute sa maison, & que chaque ustensile se trouve à portée du lieu où l’on peut en avoir besoin.

Ce principe n’est pas seulement la base de son système économique, il lui sert encore de guide dans toute sa conduite morale ; rien ne lui paroît plus précis & plus clair que les idées que nous devons nous former du juste & de l’honnête. Nous pouvons lire, dit-il, au-dedans de nous-mêmes ce que nous devons faire ou omettre dans chaque circonstance ; il n’y a qu’à se demander, lorsqu’on agit vis-à-vis d’autrui, ce que nous souhaiterions qu’on fît à notre égard en pareil cas, & observer si, pendant tout le temps qu’on agit, le cœur est satisfait & tranquille. C’est dans le témoignage qu’on peut se rendre à soi-même d’avoir rempli tous ses devoirs, & dans la paix intérieure qui en résulte, que Kliyoogg renferme l’idée du bonheur ; il découvre, dans les suites que nos actions entraînent naturellement après elles, les récompenses ou les punitions de la Justice divine. Tout comme la fertilité devient le prix d’une culture laborieuse & assidue, la paix de l’ame & la tranquillité d’esprit sont la récompense d’une conduite vertueuse.

Lorsqu’il a fait quelque bonne découverte, il n’a rien de plus pressé que d’en faire part à d’autres ; il se donne même alors toutes les peines imaginables pour les convaincre de l’utilité de ce qu’il propose, & combattre les préjugés ; il n’est jamais plus satisfait que lorsqu’il peut assister à quelque conférence, où l’on discute avec cette chaleur qu’inspire un véritable intérêt pour tout ce qui a pour objet le bien public. C’est là qu’il présente ses idées avec cette noble franchise qui annonce la pureté de son intention, & qu’il prescrit à chaque état ses devoirs avec une justesse d’esprit étonnante, se servant à cet effet de comparaisons tirées de l’économie champêtre. Il