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vaux, afin de les accoutumer de bonne heure à la vie active ; il proportionne à leurs forces, le travail qu’il leur donne ; il tâche ainsi de les habituer de bonne heure à son genre de vie, de leur faire adopter ses mœurs, & de leur inspirer ce vrai contentement, qu’il regarde comme l’unique moyen d’arriver au bonheur ; conséquemment à ces principes, il s’est chargé du soin d’instruire ses enfans, & il destine à cette occupation, le repos du dimanche ; & par une suite des mêmes motifs, les deux frères ne se rendent jamais à l’église tous deux à-la-fois. L’un d’eux reste toujours à la maison, tant pour contenir les enfans dans la règle, que pour leur enseigner leur catéchisme & les exercer à la lecture & à l’écriture.

La manière dont Kliyoogg s’y prend pour exciter ses enfans au travail, mérite d’être rapportée. Tant que les plus jeunes ne sont pas encore en état de travailler la terre, il leur fait prendre leur repas sur le plancher. Ce n’est que du moment qu’ils ont commencé à lui être de quelques secours dans la culture de ses champs, qu’il les admet à sa table avec les plus âgés. Il leur fait comprendre par là, que tant que l’homme ne travaille pas & n’est d’aucun secours à la société, il ne sauroit être considéré que comme un animal qui peut avoir droit à sa subsistance, mais non à l’honneur d’être traité comme un membre de la famille. Du reste, il se tient fort en garde pour ne faire aucune distinction entre eux ; il aime également ceux de son frère comme les siens ; il les conduit tous vers le bien avec le même zèle & la même constance. Ce n’est qu’en se montrant obéissans & en faisant bien, qu’ils peuvent gagner son amitié, & s’attirer ses caresses ; son approbation est la seule récompense à laquelle ils aspirent. Enfin, il a su trouver le moyen de se faire également chérir & craindre. Il les accoutume de bonne heure aux mêts grossiers dont il fait usage, & leur en donne autant qu’il leur en faut pour être pleinement rassasiés ; mais il se garde bien soigneusement d’exciter leur gourmandise, en leur offrant, suivant la pernicieuse coutume de presque tous les parens, des friandises en guise de récompense. Aussi ces enfans n’ont aucune espèce de passion pour tout ce qui s’appelle mangeaille, & ne connoissent d’autre félicité, à l’égard du manger, que le plaisir d’appaiser leur faim. Cela fait aussi que l’on peut, avec toute sûreté, laisser ouvertes les armoires & les chambres où sont les provisions.

Il en use de même à l’égard de la caisse où il tient l’argent ; elle est également ouverte à tous les membres de la famille, qui sont en âge de raison ; tous y ont les mêmes droits. Comme tout le bien est en commun, on évite avec le plus grand soin jusqu’à la moindre apparence de profit personnel, & par ce moyen, tout amour immodéré pour l’argent est banni de sa maison. On n’y envisage exactement l’argent que comme un moyen de se procurer les choses nécessaires aux besoins du ménage, & chacun des membres de sa famille se trouvant abondamment pourvu du nécessaire, il ne s’élève jamais chez eux le moindre désir de s’en pourvoir ailleurs.

L’un des grands plaisirs qu’ait ressenti notre philosophe, (& qui décèle la beauté de son ame) est lors-