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province auroit été obligé de faire les avances de chassis vitrés, de cloches & d’une quantité de fumier de litière, soit pour les couches soit pour les réchaux (voyez ces mots) : mais un tombereau de fumier sortant de dessous les pieds des chevaux, lui coûte 40 sous ou 3 livres ; il lui en faudra au moins vingt. Le malheureux aura donc sacrifié en pure perte son temps & son argent pour acquérir la gloire stérile d’avoir des primeurs. Je mets en fait que le premier melon ne se paie pas plus de 14 sous à Aix & à Montpellier, & il en est ainsi de toutes les autres parties du jardinage. C’est le local, ce sont les abris naturels qui doivent décider du temps de semer, de planter, &c. ; tout le reste est superfluité & confirme l’antique proverbe, qui dit que chaque chose doit être mangé dans sa saison. Je ne veux pas cependant conclure que les gens riches, & qui habitent en province, doivent strictement se conformer à la méthode du jardinage adoptée dans leurs cantons, je les invite très-fort au contraire à envoyer leurs jardiniers s’instruire auprès de ceux de Paris, parce qu’il en résultera, 1°. une plus grande dépense de la part du propriétaire, & qui augmentera le bien-être de la classe des journaliers ; 2°. parce que son jardinier une fois instruit ne bouleversera pas la méthode de son canton, mais il la perfectionnera dans plusieurs de ses points, sans augmenter la dépense ; objet essentiel, sans lequel il ne réussira jamais auprès des jardiniers qui vivent & payent leur ferme du produit de la vente de leurs légumes. L’homme riche ne regarde pas de si près ; il veut jouir, coûte qui coûte ; voilà le but de ses désirs & de ses dépenses : mais une chose que l’on ne conçoit pas, c’est que le financier qui sacrifie pour le luxe de son potager des sommes qui fourniroient au-delà de la subsistance de dix familles, relègue ce même potager dans un coin, & le dérobe à la vue par des charmilles, & souvent par des murs, comme si c’étoit un objet méprisable & peu digne de figurer dans son parc ! Il traitera de provinciale ma manière de juger des objets. Je souscris à toutes les qualifications qu’il plaira lui donner ; mais à mon goût, rien ne flatte plus agréablement la vue, qu’un potager bien entretenu. La diversité des verds & des formes des plantes qu’on y cultive, offre une multiplicité de nuances qui enchante ; & de cette espèce de désordre, naît la beauté du coup-d’œil. C’est-là que l’on voit la végétation dans toute sa pompe, l’agréable réuni à l’utile, & l’assommante & symétrique uniformité en est bannie. Chacun a sa manière de voir ; telle est la mienne.

Section Première.

De l’exposition d’un Légumier.

Elle est à peu de chose près indifférente à l’homme riche, parce qu’à force d’entasser pierre sur pierre, d’élever des murs & des terrasses, il se procure les abris qu’il désire : ces dépenses excèdent pour l’ordinaire la valeur du fond ; mais rien n’est perdu, parce que l’ouvrier y a gagné.

En général, l’exposition du levant & du midi sont à préférer ; la plus mauvaise est celle du nord. Ces asser-