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les précieux quarts de réserve sont sacrifiés à l’avidité des commendataires & des religieux, plus qu’aux besoins réels. Les seules forêts appartenantes aux chartreux, sont complètement bien soignées, entretenues, conservées ; & les soins qu’en ont toujours pris ces pieux solitaires, ont engagé le gouvernement à les soustraire de l’inspection du tribunal des eaux & forêts : si les autres ordres religieux, si les abbés & les prieurs commendataires étoient animés du même esprit, & agissoient d’après les mêmes principes que les chartreux, leurs forêts suffiroient presqu’à la consommation du royaume. Il faut cependant excepter celle de Paris, de ce gouffre immense qui dépeuple les bois à plus de trente lieues à la ronde.

Il n’existe aucune province dans le royaume où la disette du bois ne se fasse sentir du plus au moins, & dans quelques-unes elle est extrême, par exemple, dans les provinces méridionales ; j’en ai dit les raisons au mot Défrichement. Les Gaules jadis étoient couvertes par des forêts, & leurs druydes y trouveraient à peine aujourd’hui un asile pour exercer leur culte religieux : d’un extrême on a passé à un autre. Il résulte donc de la disette des bois où le royaume se trouve réduit, que la meilleure spéculation en agriculture, & digne d’un père de famille, est de semer du gland, des châtaignes, de la graine de hêtre, de pin, de sapin ; en un mot, de convertir en forêts toutes les terres d’un médiocre produit, & surtout celles qui font éloignées des habitations, ou dont la culture est trop dispendieuse. Je l’ai déjà dit au mot DÉFRICHEMENT ; cultivons moins de superficie, mais cultivons mieux. Les terres productives ne nous manquent pas, mais les bras sont trop rares ; la richesse de l’état dépend de la multiplicité des petits tenanciers, & les grandes possessions sont toujours mal cultivées. Les petits tenanciers ne peuvent pas convertir leurs héritages en forêts, parce qu’ils doivent vivre avec leurs produits ; cependant rien ne les empêche de suivre l’exemple des normands, de clorre leurs possessions avec des haies plantées en chêne, en hêtre ; avec le temps ces arbres s’élèvent, & leur émondage fournit chaque année du bois de chauffage. On objectera, (car que n’objecte-t-on pas quand il s’agit d’introduire de nouvelles coutumes, même les plus avantageuses) que les champs doivent être exposés à de grands courans d’air capables de dissiper promptement les rosées, les brouillards ; mais en Normandie la chaleur y est plus que tempérée, puisque le raisin n’y sauroit mûrir ; cependant l’héritage y est environné par des haies & par de grands arbres ; (au mot HAIE je décrirai la manière dont elles sont construites) & malgré cette espèce de rempart, les moissons y sont superbes et les récoltes assurées. Dans les provinces où il règne des vents violens, les lisières d’arbres sont encore plus nécessaires, & sans cette sage précaution, les possessions de l’industrieux hollandois du cap de Bonne-Espérance, seroient presque tous les ans anéanties par les ouragans si communs dans ce parage ; le bambou y supplée aux arbres forestiers. Si le petit tenancier se refuse à la plantation des arbres destinés à la charpente ou au chauf-