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ces mots) jusqu’à ce qu’il puisse se passer de son secours. À la base de chaque feuille du fraisier il y a un bouton né ou à naître, & la durée de la feuille dépend de cette naissance. On peut donc regarder le coulant comme un véritable œilleton qui s’alonge au-delà de la touffe formée par les feuilles, & dès que, par sa pesanteur, il s’incline contre terre & la touche, il y prend racine, pousse un œilleton duquel sortent par la suite de nouveaux coulans. Il résulte de toutes ces productions latérales, que deux ou trois pieds de fraisiers, livrés à eux-mêmes, couvrent dans peu de temps une très vaste surface. Il faut observer qu’aussitôt que le nouvel œilleton est en état de se passer de sa mère par ses racines, le coulant se dessèche parce qu’il lui devient inutile.

Pour multiplier l’espèce, on sépare de la mère-plante tous les coulans, & on soulève avec soin le plant enraciné qu’elle a fourni, & on le replante dans un lieu préparé pour le recevoir. Si on a un petit espace à regarnir, on pince le coulant aussitôt après son premier nœud, afin que ce nœud se fortifie, ou après le second, si de plus grands besoins l’exigent, ou enfin on laisse les coulans travailler autant qu’il peuvent, lorsque l’on a de grandes plantations à faire. Dans ce dernier cas, il est expédient de travailler souvent la terre, soit au pied de la mère-tige, soit celle sur laquelle les coulans s’étendent & prennent racine.


CHAPITRE III.

De la culture des Fraisiers.


I, Du temps de la transplantation. Lorsque la saison des fruits est passée, c’est le moment de travailler les planches, d’y apporter du terreau, & de rechausser les pieds ; les fumiers, en général, diminuent le parfum du fruit. Ce labour force la plante à œilletonner & à pousser des coulans. Suivant les climats, à la mi-novembre ou octobre, on sépare les œilletons & les coulans ; quelques-uns attendent la fin de février ; mais en général, c’est perdre une année de jouissance, parce que la plupart des fraisiers ne portent qu’à la seconde année. Il n’en est pas ainsi du fraisier des mois, parce qu’il fleurit & fructifie autant de temps que les rigueurs du froid ne s’y opposent pas. Dans nos provinces méridionales il n’est pas rare d’avoir des fraises bonnes à cueillir, & même parfumées, jusqu’au milieu de décembre, & souvent en janvier, s’il ne survient point de gelée. On peut donc attendre, pour transplanter cette espèce, jusqu’au mois de février, ou aux premiers jours de mars ; la saison décide du moment. Cependant, si on œilletonne en novembre, les pieds seront beaucoup plus forts au printemps prochain.

Les habitans de Montreuil, très grands cultivateurs de fraisiers, ont pour maxime d’œilletonner en novembre, & de planter près à près les jeunes pieds comme en pépinière pour les transporter ensuite à l’endroit qui leur est destiné, aussitôt qu’il n’appréhendent plus les rigueurs de l’hiver. Comme la récolte des fraises est un objet très-important pour ces cultivateurs dont le travail est fondé sur l’observation, & l’observation savamment raisonnée,